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Les Femmes arabes en Algérie/Des lézards pour maris

La bibliothèque libre.
Société d’éditions littéraires (p. 81-84).


Des lézards pour maris




« Que l’on nous donne des lézards pour maris plutôt que des hommes polygames ! » crient dans les prétoires les belles divorceuses.

Si en pays musulman on se marie souvent, on divorce presque aussi souvent que l’on se marie. C’est que les arabes ne sont point encore asservis aux préjugés qui forcent les civilisés à supporter volontairement la torture. Quand ils sont malheureux en ménage, très sagement ils se séparent.

L’homme a bien des moyens de rompre le lien conjugal, il peut dissoudre le mariage par le divorce T’alak, le divorce Ila, le divorce Lia. Il use peu du divorce Moubara (par consentement mutuel) qui ne coûte rien à l’épouse.

Parfois les maris demandent une si grosse somme pour autoriser leur femme à recouvrer sa liberté, qu’aucun prétendant acheteur ne veut mettre ce prix et que l’épouse marchandise reste en disponibilité.

Généralement, le mari n’accepte de séparation que contre une somme proposée comme don compensateur par la femme, c’est le divorce Khola par lequel l’épouse se dépouille pour payer à son mari la rançon de sa liberté. Dans ce divorce, l’amour propre joue un rôle, la femme a à honneur de ne pas paraître obtenir sa liberté à trop bas prix ; aussi laisse-t-elle au mari dont elle veut être délivrée, une partie de sa dot quand ce n’est pas sa dot tout entière.

En pays arabe, toute femme qui a cessé de plaire doit rembourser à l’homme la somme dont il l’avait payée. Le Cadi prête aux maris main forte, il ne prononce guère que le divorce Khola ; aussi, quand les musulmanes ont un cas où le divorce peut être rendu par autorité de justice, elles préfèrent recourir à l’impartialité des tribunaux français.

Le divorce peut être prononcé d’office par les tribunaux français, malgré la volonté du mari, quand celui-ci maltraite, entretient insuffisamment sa femme, ou quand il est inapte à remplir les devoirs conjugaux. C’est le plus souvent, ce dernier cas de divorce que les femmes allèguent.

Les médecins se plaignent en Algérie, d’être poursuivis avec persévérance et ténacité, par des femmes arabes qui veulent leur faire certifier que leur mari est impuissant.

Munies ou non de certificats, il n’est pas rare de voir ces femmes entamer une instance en divorce, en demandant aux tribunaux français de leur accorder quelques milliers de francs de dommages intérêts, parce que leur époux n’a pas été pour elles, régulièrement un mari, pendant un temps.

La musulmane qui demande le divorce par autorité de justice, expose ses griefs au juge qui, après l’avoir entendue, la met elle et l’époux en adala (en observation) pendant huit jours chez une personne honorable. Au bout de ce temps, leur surveillant fait un rapport où il déclare quel est celui des époux qui a tort. De son côté le juge s’informe et quand il est suffisamment éclairé, il prononce le divorce.

C’est dans leurs instances en divorce que les femmes arabes se montrent tout entières. Les maris penauds baissent la tête, pendant qu’elles déploient une si grande éloquence qu’on croirait entendre les belles parleuses de l’Arabie payenne ressuscitées.

Elles protestent avec véhémence contre la pluralité des femmes. Elles déclarent préférer la prison au harem. « Que l’on nous donne, disent-elles, des lézards pour maris plutôt que des hommes polygames ! »

La musulmane étant de sang libre, les verrous et la matraque n’ont pu la subjuguer ; aussi veut-elle sortir du mariage dès qu’elle y est entrée, si elle s’y trouve malheureuse. Il s’agit seulement pour elle d’en sortir fièrement, et sans perte d’argent, dût-elle pour cela en dépenser.