Aller au contenu

Page:Adam - Irène et les eunuques, 1907.djvu/477

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
447
IRÈNE ET LES EUNUQUES

bientôt, elle recommencerait l’œuvre interrompue.

Les soldats criaient et riaient. Les chevaux piaffaient et secouaient leurs mors. Plusieurs lanternes, passant au poing d’ombres, éclairaient des cuirasses, des lances droites, des boucliers à terre, des bêtes endormies debout, la crinière pendante et les naseaux vers le sol. Et nulle autre vie n’était, jusqu’au loin entre les façades aux colonnes indistinctes, entre les massifs d’oliviers, de lauriers, de cyprès et de cèdres. Seul, le bruit sourd d’une masse militaire cohérente, anxieuse, disciplinée, prête aux alertes, animait l’obscur de la nuit.

L’impératrice se retira. On referma les vantaux de la baie. Que Tarasios l’eut trahie, c’était maintenant la seule cause de la rage impériale. Elle imagina la figure élégante du patriarche, cette barbe soigneusement émondée, cette taille avantageuse, ces mains fines, cette mine affable et ironique à la fois, puis sévère. Et chacune de ces qualités, pour certaines qu’elles parussent, n’excusait pas la confiance d’Irène en ce fourbe. Elle ne se pardonnait pas de l’avoir élu, au lieu d’autres, fidèles et loyaux. Elle eût voulu le faire saisir, battre de verges, aveugler, jusqu’à ce que la mort raidît cette prestance, étouffât le charme de cette parole fleurie. Et, à défaut du traître, Irène empoignait sa gorge, crispait dessus ses ongles furieux, afin de punir sa propre erreur.

Autour d’elle, il n’était personne à qui elle pût confier sa peine. Ces eunuques obséquieux, ces filles peureuses étaient depuis peu de temps à son ser-