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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

triste et sauvage à la fois, dont les montagnards de l’Auvergne animent volontiers les échos de leurs vallons.

Le piéton s’arrêta, écouta attentivement, fit un salut, le chapeau à la main ; puis tirant un livre blanc de son sac, il parut noter rapidement le chant qu’il venait d’entendre.

— Pardi ! c’est un musicien ! fit le buronnier.

Il ne se trompait pas. Le jeune homme, tout en marchant, déchiffrait et chantait l’air de la « grande », et il semblait satisfait de sa notation.

La « grande » et le coup de chapeau avaient rompu la glace. Le piéton et le buronnier allèrent l’un vers l’autre. Jean suivit ce dernier. Quand on fut un peu rapproché :

— Je vais au Roc du Merle, mon brave homme, dit le piéton. Ne puis-je m’arrêter une heure ou deux à votre buron et vous demander une écuelle de lait ?

— Vous êtes le bienvenu, mon ami, répondit le buronnier ; seulement je vous prenais pour un musicien.

— Et vous ne vous trompiez pas ! C’est étrange !

— Mais alors qu’allez-vous faire au Roc du Merle… sans être trop curieux ?

— D’abord… J’ai eu occasion de noter votre « grande » avec des variations que je ne connaissais pas encore ; ensuite je compte me régaler du paysage ; enfin, je crois que c’est par ici le plus court pour aller à Dienne.

— Bon ! bon ! fit Pierre Villamus.

— Je suis un musicien comme vous l’avez deviné, l’un des derniers « vicariants » de France, le dernier peut-être. J’ai visité la Savoie, le Jura ; je suis bien aise de voir les volcans de la France centrale. Vous ne savez pas ce que c’est « vicarier » ? Jadis, c’était une noble profession et qui donnait gloire et profit. Aujourd’hui de pauvres compositeurs comme moi sont réduits à aller d’une cure à l’autre… Mais je préfère cette existence aventureuse à la honte de mettre en musique des chansons de café-concert. Si le curé est de bonne composition, s’il consent à orner ses vêpres du dimanche d’un Salutaris de ma façon, il me retient ; je suis toujours satisfait de ce que je reçois comme récompense — surtout si ma musique a fait plaisir à entendre. J’obtiens souvent une lettre de recommandation pour un autre curé ; et c’est ainsi que je viens de Salers où j’ai eu quelque succès, je puis le dire en toute modestie…

— De Salers ? s’écria Jean en haussant sa taille pour justifier autant que possible son interruption.