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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Jean sortit pour voir le piéton qui s’avançait. Le buronnier le lui montra tout au loin, marchant un bâton à la main. Puis tout d’un coup :

— Mais non, ce n’est pas mon boutilier ! s’écria-t-il. Aussi, ça m’étonnait… Et puis ce bâton… ce n’est pas dans son « genre ».

Ces paroles causèrent un véritable désappointement au petit Parisien.

— Pourvu que Jean vienne ! fit-il avec un accent de doute.

— Pour venir, il viendra ! dit Pierre. Ah ! fichtre, oui ! Patience, mon petit, patience ! — Mais c’est quelqu’un qui vient par ici tout de même, observa-t-il. Il en prend le chemin.

Le buronnier ne pouvait se tromper. Le piéton se dirigeait vers sa laiterie très visible d’en bas. Déjà il commençait à monter.

— Est-ce que ce ne serait pas M. Bordelais… qui te cherche ? demanda-t-il à Jean.

Jean secoua la tête.

— Oh ! non ! fit-il, sans hésitation. Il ne peut pas deviner que je suis ici.

— C’est vrai.

Déjà on distinguait l’ensemble de la figure d’un jeune homme brun, grand, vigoureusement découplé, fort simplement vêtu d’un habit bourgeois d’une coupe sévère, coiffé d’un feutre mou et chaussé de guêtres. À ses épaules, passaient les courroies d’un sac de voyage qu’il portait sur son dos. Il avait le pas cadencé et nerveux d’un marcheur, habitué à faire de grands trajets à pied.

— Ça, c’est bien sûr un peintre qui vient visiter le Roc du Merle.

— Où cela, le Roc du Merle ?

— Sur notre gauche, en arrière… Il en passe, comme ça, quelques-uns dans la belle saison, qui disent que quand on a vu de là-haut, au fond du paysage, les pentes brunes du puy Mary ; dans le bas, à droite, les têtes pressées des sapins qui remuent quasiment comme les vagues de la mer, et tout le côté gauche de la vallée, brûlé, raviné, en escarpements dont la roche est à nu, enfin le lit de la rivière avec ses cascades, les prairies et les vergers qui la bordent, eh bien ! on peut se faire une idée des plus belles scènes des pays de montagnes. J’ai bien compris, dans ma manière, qu’ils se moquent de ceux qui s’en vont bien loin, dans les pays étrangers, pour trouver moins beau qu’ici, en pleine France. — Mais, observa le buronnier, qui ne perdait pas de vue le piéton, il a les mains bien noires pour un artiste et la trogne bien rouge aussi.

Et il se mit à héler le nouvel arrivant, le saluant de cette mélodie bizarre,