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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/111

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

— Pensez-vous, lui dit-elle en baissant la voix, en avoir pour longtemps à garder le lit ?

— Le médecin parle de dix à douze jours, mettons en quinze. Ce qui m’inquiète, c’est cet enfant…

— Ne vous en tourmentez pas davantage : j’ai à vous faire à son sujet une proposition acceptable… J’y ai pensé dès ma rencontre avec lui en arrivant à Mauriac.

— Il est donc venu tout seul ? s’écria Bordelais la Rose, ravi tout à la fois de la hardiesse de son protégé et fâché qu’il se fût risqué à lui donner cette marque d’amitié.

— Oui, dit Jean un peu intimidé, je suis venu par Saint-Martin-Valmeroux…

— Mais ce n’est pas le chemin !

— Je venais du Falgoux… et de Salers…

— De Salers ! à pied ? Alors tu ne sais rien de « mon canard » ?

— J’avais commis la faute d’aller vous rejoindre. Mais vous voyez que je ne m’en porte pas plus mal. Je vous raconterai comment mon bon parent Jacob a tenté de se débarrasser de moi…

— Chut ! chut ! Il est là ! fit Bordelais la Rose, en désignant le lit occupé.

Le petit Parisien eut un soubresaut. Il regarda la baronne et comprit alors sa contrainte et l’expression de ce cri qu’elle avait poussé en entrant.

— C’est le parent du jeune garçon ? demanda la dame.

— Malheureusement !… répondit Bordelais la Rose, un cousin, très éloigné, c’est vrai ; mais, sac et giberne ! il n’est pas avouable, non ! Il m’a mis dans l’état où vous me voyez, madame, avec une côte enfoncée. Quant à mon poignet foulé, c’est « à lui en servir » que c’est venu. Et puis, je lui ai cassé une bouteille sur la tête. Et ce n’est pas fini, ajouta-t-il en élevant la voix, ce n’est que partie remise…

Jacob entendit ces paroles, mais se garda de les relever.

— N’allez pas croire, au moins, madame, reprit le charpentier, que je sois un homme méchant, querelleur : je ne suis venu dans ce pays qu’afin d’obtenir pour ce petit une réparation qu’il lui faut avoir sous peine d’être déshonoré lui-même. C’est le fils d’un bon soldat lorrain, décoré, tué pendant la guerre, dans les Vosges. Je l’ai connu, son père ; nous étions ensemble au pont de Fontenoy, et, sac et giberne ! il ne sera pas dit que nous serons molestés par une manière de Prussien !

Et l’ex-zouave montra le lit de Jacob, où un grognement se fit entendre.

— C’est donc un Prussien ? demanda la baronne d’une voix très basse.