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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/13

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

convenus. Un gros chien noir dont l’éducation militaire ne laissait rien à désirer, figurait à l’avant-garde, flairant chaque buisson, s’engageant dans chaque sentier d’où pouvait déboucher l’ennemi…

Puis, s’avançaient sur deux files les francs-tireurs, observant le plus complet silence, silence commandé, mais facile à garder, car tous ces soldats demeuraient graves, absorbés comme on l’est à la veille d’une bataille ; on marchait, en effet, sans hésitation ni délai vers la mort, — la mort à donner ou à recevoir.

Chaque homme s’efforçait autant que le permettait l’obscurité de mettre le pied dans l’empreinte laissée dans la neige par ceux qui l’avaient précédé, et cela, est-il besoin de le dire ? afin de dérober autant que possible le passage d’une troupe armée.

Enfin, l’arrière-garde escortait les charrettes chargées des sacs de poudre et de quelques centaines de rations.

Parfois on faisait halte dans un chemin creusé à travers bois par les eaux torrentielles et les roues des chariots. Chacun s’établissait un moment le long des roches renversées comme des bornes au bord de la voie, ou sur les racines moussues s’échappant de terre au pied de vieux arbres ; on allumait une pipe, et, çà et là, des foyers de lumière illuminaient fugitivement des groupes à l’aspect martial, — profils sévères et rudes, légers képis, capotes brunes, sacs au dos, bidons, « musettes » et cartouchières sur le flanc, — et faisaient courir un éclair sur les canons des fusils ou étinceler la poignée d’un sabre.

Au-dessus, entre les hautes cimes dépouillées de leurs feuilles, tremblotaient quelques étoiles frileuses dans des coins de ciel d’un azur sombre. La voix lugubre des vents d’hiver promenait sa plainte à travers forêts et vallons. Un peu plus loin, on s’arrêtait, au milieu d’une clairière. Aux alentours, les arbres géants abattus sur le sol demeuraient à la place où ils étaient tombés ; la guerre avait suspendu les coupes ; contre des piles de bois scié et symétriquement rangé venait s’accumuler la poudre blanche des frimas.

Les éclaireurs à cheval, mettant à profit ces courtes stations de la petite troupe, poussaient une reconnaissance dans des directions diverses, à travers la nuit toute noire.

Après avoir marché parallèlement à la vallée du Vair, on passa à pied sec cette rivière : le froid en avait arrêté le cours. Il fallut ensuite traverser plusieurs villages : Tranqueville, sur la limite du département, Saulxure dans la Meurthe. Ces villages semblaient déserts ; ils l’étaient presque…