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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

tant, le retirer aussitôt ; puis, tout d’un coup, disparaître en poussant un cri de terreur.

Maurice accourait aussi. Mais Jean, plus leste, s’était laissé dévaler. Quand il eut dépassé la pauvre enfant que le vertige et le trouble entraînaient vers le vide, il s’agenouilla et s’assujettit solidement en posant un pied sur une sallie de rocher. Il présentait ainsi un obstacle, que la jeune fille vint frôler, heureuse de rencontrer un point de résistance si faible qu’il fût. Jean étendit les bras et la retint.

Déjà Maurice offrait la main à l’imprudente, et en quelques secondes elle fut hors de tout danger. La sœur aînée jetait de grands cris. À cet appel, son père, son frère et un guide arrivaient en toute hâte…

Alors Jean s’effraya de ce qu’il avait osé faire : il se trouvait à un mètre d’un abîme insondable ; il en pâlit, et se servant des pieds et des mains, se cramponnant aux touffes d’herbe avec une énergie où se mêlait une véritable terreur, il se hissa jusqu’à la plate-forme.

Maurice grondait doucement la jeune fille sauvée d’une mort affreuse.

— Vous avez raison, répondit-elle ; mais c’est beaucoup la faute de cet homme… là-haut… que nous avons eu le tort de consulter.

Maurice et Jean levèrent les yeux vers le sommet du puy.

Il y avait là, assis sur le bloc de granit d’un mètre cube qui couronne le Sancy, un homme d’un bien étrange aspect. Ses jambes pendantes se croisaient avançant deux pieds énormes ; ses coudes osseux serrés le long de son corps, une main soutenant le menton, il souriait ; ou plutôt il riait sans bruit et sa bouche se fendait largement sous un nez pointu ; ses yeux regardaient vaguement du côté où tout le monde se portait ; sa tête était enveloppée d’un mouchoir rouge à carreaux, noué sur le front. Les deux cornes de ce mouchoir, mis sans doute pour les passages exposés au vent, achevaient de donner au personnage un air diabolique et grotesque tout à la fois.

Jean crut reconnaître en lui l’Allemand, le compère de Jacob Risler. Il ne se trompait pas ; Hans, forcément oisif par l’incarcération de son associé à Mauriac, craignant aussi d’être ressaisi comme ayant glissé entre les mains des gendarmes à Salers, se donnait le plaisir de faire quelques promenades en touriste désœuvré. Venu à Clermont-Ferrand, il avait suivi de loin une famille anglaise qui s’en allait vers les hauteurs du Mont-Dore, et il avait pu faire de la sorte l’ascension du puy de Sancy en se passant de guide, c’est-à dire sans bourse délier, mais non sans se rendre importun aux gens à qui il s’imposait.