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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/132

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

C’était, autour de la jeune fille arrachée au gouffre grâce au courage et à la vivacité de Jean et de Maurice, un concert de malédictions à l’adresse de l’individu à la figure ingrate qui semblait soudé au cube de granit. La mère des jeunes Anglaises et le fiancé de l’une d’elles, ainsi que deux autres guides, étaient venus se joindre au groupe des gens reconnaissants qui prodiguaient aux deux jeunes garçons des félicitations et de chauds remerciements. Les guides se montraient furieux que l’accident eût eu lieu par suite des fausses indications du malencontreux donneur d’avis.

— De quoi se mêle-t-il, ce paltoquet ? dit l’un d’eux qui flairait une concurrence déloyale.

— Mais c’est aux guides qui vous conduisent, mesdemoiselles, qu’on demande des renseignements, observa avec franchise le deuxième guide.

— À moins qu’on ne soit pas content d’eux, ajouta le troisième.

Le premier reprit :

— Rien ne me tient de lui donner une leçon, à ce particulier, dont il se souviendra !

Jean réfléchissait depuis un moment. Un vaste projet trottait dans sa petite tête.

— N’en faites rien, dit-il enfin avec vivacité ; cet homme est fou.

— Et c’est d’un fou que vous prenez conseil, mesdemoiselles ! s’écria le frère des deux jeunes filles, grand garçon blond, leur aîné, et qui parlait notre langue sans accent étranger. Passe encore pour Julia, qui est un peu folle elle-même…

— Vraiment ! fit une douce voix fâchée.

— Mais ma Kate ! — c’était la jeune fille sauvée, — ma Kate, qui est la sagesse même, s’adresser si mal !

— C’est peut-être qu’il a l’air avenant le bel oiseau, dit d’une voix moqueuse le premier guide.

— Taisez-vô, à la fin ! fit le père de famille, — un remarquable échantillon d’Anglais en voyage, avec petit chapeau et voile de gaze verte, favoris roux en broussailles, veston quadrillé, lorgnon pendu au côté dans sa gaine.

Sir William Tavistock, baronnet, ne payait pas les guides pour qu’ils élevassent la voix avec tant de liberté.

— Si cet homme est fou, reprit-il, il faut le laisser tranquille. Chacun regardait Hans Meister, qui ne se gênait plus pour ricaner.

— Il n’est pas si laid ! observa lady Tavistock, gracieuse femme d’une quarantaine d’années, au regard indulgent et doux, et dont le visage s’enca-