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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

railleries, qui cessèrent aussitôt qu’on s’aperçut que ce personnage disgracieux voyageait avec un aimable enfant — un Parisien assurément, sans qu’il fût besoin de le demander.

Les conversations devinrent ensuite plus sérieuses, et Jean s’étonna d’entendre parler de tant de procès, de tant de rivalités et de tracasseries entre voisins au sujet de la limite d’un champ ou d’une servitude quelconque.

À chaque station ces gens de bonne humeur, malgré leur caractère processif, descendaient, remplacés aussitôt par d’autres non moins endimanchés et non moins gais : c’était le moment des fêtes villageoises connues dans le pays sous le nom d’« apports » ; on y boit, on y mange, on y chante, on y danse des bourrées d’Auvergne au son de la vielle et de la cornemuse. Fi des violons !

Jean se réjouissait de cette joie répandue partout sur son passage. Cet enfant aimait réellement son pays avec passion, cela se révélait peu à peu. Ce sentiment était né en lui, vivace, le jour où il se révolta contre l’odieuse accusation qui faisait de son père un traître. Longtemps la France avait été pour le jeune garçon comme un beau livre fermé, admiré sur la foi des merveilles qu’il contient ; maintenant, il lui était permis d’en feuilleter les pages magnifiquement illustrées. Au respect qu’il avait déjà, s’ajoutaient intenses les joies de la possession. Ces campagnes boisées ou marécageuses qu’on traversait, ces « brandes », — terrains couverts de bruyères, de joncs et de genêts, — ces belles plantations de noyers, tous ces petits cours d’eau si nombreux, ces étangs poissonneux, ces grands troupeaux de moutons, paissant dans les beaux pâturages, ces vignes surchargées du poids des vendanges prochaines, tout cela c’était la France, c’était la vie et la fortune de la France…

Et, oubliant un peu son sinistre compagnon de route et le triste motif de son voyage, il se prenait à s’intéresser à tous les bavardages : le rendement des lins des cantons de Varennes et de Cusset, et le rendement des chanvres de l’arrondissement de la Palisse ; la récolte des vins de Saint-Pourçain et d’Ussel — qui entre parenthèses étaient réservés à la table royale sous Louis XI et sous Henri iv, — celle des vins rouges de Montluçon, de Mariol et de Montor, et des vins blancs du Greuzier et de la Chaise ; deux années auparavant la récolte tout à fait exceptionnelle avait presque doublé. Ces moutons répandus dans tout le pays, dont la chair est délicate et la laine de bonne qualité, il apprit qu’on les achetait maigres dans les départements voisins, dans la Creuse, dans le Cher, pour les élever. Enfin, en approchant de Com-