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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/16

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

de capotes prussiennes et de casques à pointes. Les Alsaciens s’en affublaient lorsque l’occasion l’exigeait, et c’est ainsi travestis qu’ils venaient de pénétrer dans le village.

Malgré l’heure nocturne et le froid, une femme âgée se montra sur le seuil d’une porte. L’un des faux Prussiens l’apercevant s’avança vers elle en poussant un juron énergique, puis changeant de ton, il affecta l’accent des Allemands lorsqu’ils parlent notre langue.

— Li prendre le frais, la mamzelle ? Li vouloir entendre chanter le rossignol ?

La vieille femme recula d’un pas avec un geste de dégoût.

— Pouah ! fit-elle, des Prussiens !

— Non, non… pas Prussiches, mon cœur, Paffarois.

— Passez-moi votre fusil, père Barnabé ! dit une voix forte à l’intérieur ; il faut que j’en tue un — ou deux !

— Tu vois, le père ! s’écria la vieille paysanne. Je t’avais bien dit de rendre ton fusil quand on a désarmé le village ! Elle ajouta :

— Jacob, vous cherchez du malheur !

— Oh ! je les suivrai jusqu’au bout du village… plus loin…

— On nous brûlera tous, vrai comme j’ai eune bague à doïe ! Faites pas ça, mon afans ! Pour votre petiot !…

— Laissez donc ! Il y en a trop qui pensent comme vous, la mère. Nous n’en viendrons jamais à bout de cette vermine !

Pendant l’échange de ces quelques mots, dans cette demeure où l’on veillait si tard cette nuit-là, un enfant de six à sept ans s’était laissé glisser hors de l’étroite couche qu’il occupait dans un coin de la salle basse, et enfilant en deux temps son pantalon, il courut à la porte, restée entre-bâillée. Il l’ouvrit, regarda et se mit à crier de toute l’étendue de sa petite voix :

— Vive la France ! Vive la France !

— Tais-toi, mauvais gachon ! fit la vieille. Tenez, voyez-le donc sans solés à ses pieux !

— Crie plus fort, mon enfant ! dit le père, — l’homme au fusil que la vieille femme avait appelé Jacob.

L’enfant répéta à plein gosier : Vive la France !

— Bravo ! répondirent plusieurs voix au dehors. Quelqu’un ajouta : Voilà un jeune coq qui chante de bonne heure.

— Mais ce ne sont pas des Prussiens ! fit le père du petit garçon en écartant son enfant. Oh ! il va y avoir du nouveau par ici…