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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/226

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Actuellement elles tendent sur les côtes à supplanter l’huître plate, même sur leurs bancs naturels. Ces portugaises savent vivre dans des endroits dont ne s’accommodent pas les autres. Sa connaissance du littoral permit au vieux caboteur d’évaluer la production annuelle des huîtres livrées au commerce par Marennes et la Tremblade à environ trente millions, représentant une valeur de plus de deux millions de francs.

Mais l’attention de sir William s’était reportée sur l’île de Ré. Avec sa lorgnette, il découvrait tous les détails du clocher avec flèche à jour de l’église d’Ars. Le père Vent-Debout pensant avoir suffisamment exprimé ses regrets sur l’itinéraire adopté, et à qui il eût coûté de se taire, se mit à parler de l’île. Si elle est presque absolument dépouillée de grands arbres, il n’en a pas toujours été ainsi ; les maisons de plaisance ont disparu, et avec elles les petits bois, les bosquets d’ornement. Ré est une île de travailleurs, quatre fois plus peuplée que le reste de la France, en proportion de son étendue. Son exploitation de la mer lui donne le poisson en abondance, ses marais salants fournissent un sel très recherché par les pêcheurs de morue qui fréquentent l’Islande et Terre-Neuve, enfin un sol qui semblerait rebelle à l’agriculture, produit néanmoins de l’orge, des fruits excellents, des primeurs même et, en abondance, un vin qui ne serait pas mauvais s’il ne conservait un arrière-goût du « sart » ou varech apporté par la mer, et dont les vignerons se serventpour fumer leurs terres.

À l’endroit le plus étroit, au petit isthme de Martray, l’île n’a guère que soixante-dix mètres de rive à rive : d’un côté viennent se briser les lames de la mer Sauvage, de l’autre s’étendent les eaux plus calmes du golfe environné de salines que l’on appelle la mer du Fief, ou le pertuis breton. Par un gros temps, quand on se trouve sur cette étroite langue de terre, il paraît qu’on sent distinctement le sol trembler entre ces deux mers qui essayent de se joindre.

Le baronnet aperçut dans les terrains unis de l’île, régulièrement disposées comme les tentes d’un camp, des pyramides blanches…

— Qu’est-ce donc ? demanda-t-il tout surpris. Ce ne sont pas des troupes ?

— C’est le sel récolté dans les marais, lui répondit l’ancien caboteur ; on le dresse ainsi en tas.

Le yacht contourna l’île, passant au pied de la tour des Baleines, phare superbe élevé à la pointe nord.

— Ahô ! cette phare ? fit le baronnet en donnant à sa question l’accent interrogatif.