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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/227

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

— C’est la Baleine, tremblement de Brest ! répondit Vent-Debout.

La Baleine et Chassiron sont les deux phares principaux des pertuis ; les pilotes de ces parages ne jurent que par la Baleine et Chassiron.

Sir William qui, en sa qualité d’Anglais, s’intéressait à la mer et aux rivages plus qu’aux beautés intérieures d’un pays, s’entendit avec Henry Esmond pour que le yacht fût conduit au plus prochain mouillage. Il voulait, disait-il, aller visiter Baleine.

La côte de l’île de Ré est toute déchiquetée. On trouva, non sans quelque peine, un petit havre pour y abriter le yacht ; c’était non loin du phare : on pourrait aller à la Tour de la Baleine grâce au léger canot du yacht.

Les ordres donnés pour l’exécution de ce mouvement interrompirent la conversation engagée depuis un bon moment entre Jean et Barbillon le petit mousse.

— C’est ton nom, ça, Barbillon ? lui avait demandé Jean.

— Mais non, mais non, avait répondu celui-ci sans se fâcher. C’est le père Vent-Debout qui m’appelle ainsi. Je me nomme Étienne Barbeau, et je suis Parisien tout autant que toi… plus que toi peut-être ; car je suis né dans la Cité, et tout le monde sait que c’est là que la capitale a commencé. C’était au temps où Paris s’appelait « Lucrèce », ajouta-t -il en prenant un air capable.

Jean réprima une envie de rire.

— C’est Lutèce que tu veux dire ?

Le petit mousse réfléchit un instant et se borna à répliquer :

— Peut-être bien.

La glace étant ainsi rompue, Jean apprit que ce petit mousse — son aîné d’un an et orphelin comme lui, — était venu habiter Rouen, auprès d’une tante acariâtre ; que là, pouvant enfin donner libre carrière à ses appétits des choses maritimes : canotage, pêche à la ligne, natation, etc., il s’était vu intimer par la dite tante, l’ordre de s’embarquer comme mousse sur un des bateaux à vapeur qui font le trajet de Rouen à la Bouille. Après trois mois d’apprentissage, Étienne Barbeau ennuyé de la navigation en rivière, trouvant une place sur un caboteur, avait pu faire plusieurs voyages du Havre à Calais. C’est dans ce dernier port que le père Vent-Debout l’avait engagé pour le service du Richard Wallace.

— C’est lui, dit encore le mousse, qui de mon nom de Barbeau a fait par moquerie Barbillon, en soutenant qu’en ma qualité de marin d’eau douce je ne valais pas mieux que le fretin de Seine.

— Allons, moussaillon, ici ! se mit à crier le pilote, espèce de hale-bouline !