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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/23

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Enfin, on aperçut l’ensemble de la vallée de la Moselle et, s’estompant dans la brume, les deux tours de dentelle de la cathédrale de Toul, — la pauvre et charmante petite ville dominée par la haute colline de Saint-Michel, distante des remparts d’une portée de fusil, d’où les Prussiens avaient pu, quelques mois auparavant, la bombarder tout à leur aise…

On dut descendre à travers les vignes, passer en contre-bas d’une partie de la route de Neufchâteau à Toul, puis s’engager dans un chemin creux longeant de très près les remparts de Toul.

Tour ces mouvements s’exécutèrent à l’insu de l’ennemi.

De rares habitants de la localité croisaient la troupe mystérieuse, hésitant à la vue des soldats. Ils saluaient les uniformes français ; mais avec un enthousiasme mêlé de crainte. Les francs-tireurs se donnaient comme appartenant à l’avant-garde de Bourbaki.

— Est-ce possible ! s’écria un vieux garde forestier, n’ayant conservé que la plaque d’argent sur la poitrine, la petite casquette à visière relevée, les grandes guêtres de toile, mais le bâton de houx à la main au lieu du fusil en bandoulière. Est-ce possible ! répétait-il.

Et du revers de sa main calleuse il essuyait des larmes de joie.

— Ah ! qu’il vienne vite, Bourbaki ! dit une jeune fille ; qu’il vienne nous sortir de cette honte !

— Nous souffrons plus que la mort ! s’écria un pauvre vigneron courbé par l’âge.

— Il n’y a donc plus de France ? dit avec un soupir une femme toute pâle, qui serrait en frémissant son nourrisson contre son sein. Celle-là était difficile à persuader…

Hélas ! au moment où les francs-tireurs des Vosges, se faisant illusion sur leur rôle, parlaient de Bourbaki comme d’un libérateur, le brave et audacieux général venait de briser l’effort de son armée contre les Prussiens de Werder, retranchés entre Héricourt et Belfort, et la retraite désastreuse de l’armée de l’Est allait commencer, au milieu des neiges, à travers les montagnes du Jura.

À la nuit close, la colonne atteignit Pierre-la-Treiche, à six kilomètres de Toul. C’était là qu’on devait passer la Moselle (pour se diriger ensuite en aval de Toul, sur Fontenoy, à travers l’angle que forme la Moselle et dont Toul occupe le sommet). Mais il fallait attendre que la nuit fût avancée pour cette opération difficile du passage.