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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/231

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

tement amarré de l’autre côté de la Tour. Si encore Mahurec songeait à le pousser au large !… Mais il arriverait trop tard.

— Père Vent-Debout, fit Jean avec une remarquable expression de résolution, tendez-moi votre chapeau.

— Que veux-tu faire ? dit le pilote, qui dans son émotion laissa échapper, en se découvrant, la provision de tabac contenue dans la calotte. Il comprit tout de suite l’intention de Jean, lorsque celui-ci déposa dans le chapeau sa montre et son portefeuille, tandis qu’il se déchaussait tout debout, un pied venant au secours de l’autre. Tout cela fut fait en un rien de temps.

— Tu te dévoues inutilement, mon enfant, dit le vieux marin. Non, je te le défends… Il y aura des avaries…

— Père Vent-Debout, je veux vous montrer que les Parisiens ont aussi du bon, cria Jean en s’élançant dans l’eau.

Jean avait toujours su nager — comme les barbets. La mer ne lui faisait pas peur, même au mois de septembre, malgré le mouvement bruyant qu’elle se donnait autour de lui, en rasant les roches basses qu’elle couvrait soudain avec fracas, pour ruisseler aussitôt en nappes écumantes. Quelques brassées le mirent en vue de sir William et des siens qui demeuraient au pied du phare dans une attente anxieuse. Mahurec était avec eux. Tous poussèrent un cri en apercevant le petit Parisien. Ce cri, celui-ci l’entendit ; il se sentit sous l’œil de ses protecteurs et son énergie s’en accrut.

Barbillon avait vu Jean entrer dans la mer pour venir à son secours, et il faisait des efforts désespérés pour lutter contre les lames perfides de la mer Sauvage ; il comprenait qu’avec les forces de son camarade jointes aux siennes, bien que défaillantes, il allait pouvoir se tirer de la situation dangereuse où venait de le mettre un moment d’oubli : le mousse s’était endormi dans le canot et les vagues avaient emporté la frêle embarcation du côté des brisants.

Le père Vent-Debout assistait plein d’émotion au drame qui se passait sous ses yeux. Il voyait Jean se rapprocher du canot, par de vigoureuses brassées, et l’espoir lui revenait. Il cria au jeune garçon des mots d’encouragement que le vent emporta — le vent et le bruit de la mer. — Il gagne… il gagne, murmurait le vieux marin. Il est à moins d’une demi-encâblure.

Un moment après le pilote vit Jean s’approcher avec précaution du canot qui tournoyait, précaution bien nécessaire à prendre car il pouvait recevoir en pleine poitrine une mortelle atteinte.

Le père Vent-Debout suivait d’un œil ardent la stratégie nautique du petit