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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/238

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

des journées pieds nus, avec une lourde charge sur la tête, dans une eau vaseuse, semée de cailloux tranchants comme des rasoirs. Mais ce sont des gaillardes, tremblement de Brest ! et souples, et fortes !

— Tout ce monde, hommes et femmes, dit le père Vent-Debout, ne gagne pas gros ; un pêcheur au moment du partage n’a guère plus de trois cents francs pour un travail de sept mois. Il est vrai que tant que dure la pèche il y a les pots de vin de la vente : on les boit le soir à l’auberge où chaque pêcheur apporte les sardines auxquelles il a droit. On trinque au refrain des chansons, on chante au bruit des verres qui trinquent ; c’est le bon moment de la journée ; mais la femme et les enfants sont un peu oubliés tout de même… Vous comprenez ça, milord et mesdemoiselles, et toi aussi, mon petit Jean, moussaillon du bon Dieu !

» Mais il y a des jours de rafale ; une fameuse chique couve dans le nord-ouest, ou le sud-ouest va en fusiller une… Cette fois tout le monde ne revient pas ; plus d’un avale sa gaffe et va servir de rogue aux sardines… Ça fait compensation.  »

L’hiver, ce que le pêcheur peut gagner, eh bien ! ce n’est pas grand chose. Foi de matelot ! le pêcheur hors de sa barque est incapable d’aucune besogne. C’est comme le marin à terre : il pourrit ainsi qu’une vieille chaloupe échouée. Dans certaines localités les femmes cultivent un lopin de terre ; mais tout le monde ne possède pas gros de terre pour y planter un oignon…

Lorsque le pilote eut fini de parler, le petit Parisien dit au baronnet :

— Je me suis fait une idée des côtes qui avancent dans la mer sur la rive gauche. Est-ce que nous ferons escale, sir, sur les côtes de la rive droite ?

— Ce n’est pas mon intention, répondit sir William, mais avec la mer, on ne fait pas toujours ce que l’on veut. En venant nous sommes entrés au Croisic et nous avons vu tout le pays de Guérande.

En descendant le littoral, le yacht s’était arrêté en effet au Croisic, port très fréquenté l’été par les baigneurs ; et les touristes anglais avaient visité les principaux marais salants de la région ; ceux de Guérande, de Batz, du Croisic, du Poulinguen, de Mesquer, de Saint-Molf et d’Assérac en constatant que l’industrie des sauniers du bas de la Loire est en pleine décadence.

La ville de Guérande, centre commercial de tout ce pays, le domine du haut du coteau sur lequel elle est bâtie. C’est une cité d’aspect féodal encore entourée de remparts élevés, flanqués de tours et percés de quatre portes où se voient la marque des anciens ponts-levis. Des arbres gigantesques la dé-