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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/237

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

sœur, envahissant tumultueusement le pont du yacht, accaparèrent le vieux marin.

— Monsieur Vent-Debout, lui dit miss Kate de sa voix la plus caressante, ces bateaux… quels poissons cherchent-ils ?

— Des sardines, mademoiselle. Les pêcheurs du Croisic, de la Turballe, du Poulinguen, de Piriac n’ont pas autre chose à faire depuis le mois de mai jusqu’à la fin d’octobre ou de novembre. Il sort journellement de ces ports, pour cette pêche, plus de deux cents bateaux.

Sir William s’était approché.

— Pourquoi la pêche ne commence-t-elle pas avant le mois de mai ? demanda miss Julia.

— Parce que, mademoiselle, c’est au printemps que la sardine arrive chaque année, venant du sud. À partir de ce moment, il n’y a plus à faire la grasse matinée : si tu sèmes de la graine de fainéant, comme dit l’autre, il ne poussera pas des écus de six francs.

— Bien vrai, monsieur Vent-Debout ! applaudit miss Kate.

— Sardines nouvelles ! sardines de Nantes ! se mit à crier le pilote. Les bancs sont quelquefois extrêmement compacts, ajouta-t-il ; ils se présentent sur un front de huit à dix mètres de large, avec une longueur à l’avenant. Il n’y a plus d’eau ; il n’y a plus que des écailles luisantes et si Bourguignon montre son nez, la mer est d’argent fin.

— Qui que c’est ce Bourguinon-là ? demanda Jean.

— Le soleil, pardi ! c’est bien facile à comprendre !… Mais après une forte bourrasque, ou même sans dire pourquoi, les bandes disparaissent tout d’un coup pendant plusieurs jours. Alors, les vieux, calez vos boques et laissez courir ; il n’y a plus une sardine à frire ! Inutile de s’arracher le gréement, autrement parler, la tignasse, soit dit pour vous, mon milord, qui ne comprenez pas le français comme ces demoiselles. »

À la fin de la saison, poursuivit le père Vent-Debout, quand le poisson s’apprête à s’éloigner, il faut aller le relancer jusqu’à sept ou huit lieues, du côté de Belle-Isle. Pousse au large ! Attrape à courir !

Le vieux marin ajouta qu’il faut une amorce pour cette pêche, que c’est la rogue, œufs de morue provenant le plus souvent des côtes de Norvège. Mais la rogue coûte bien cher ! Pour diminuer la dépense, on se sert aussi de la crevette ou chevrette grise, pilée, qu’on appelle gueldre. Les « chevrettières » vont faire leur pêche dans les marais salants ou le long des petits cours d’eau que la marée creuse sur les plages : vilaine besogne, qui les oblige à marcher