Aller au contenu

Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/28

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
20
LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

permise. On faisait expier à ces gens l’insolence de leur installation sur notre sol, où ils semblaient comme chez eux ; on mettait fin d’une façon épouvantable aux douceurs de leurs quartiers d’hiver.

Ceux des landwehrs qui n’étaient point passés subitement de l’engourdissement du sommeil dans les ténèbres de la mort, se jetèrent dans la station. Ils se trouvaient encore aussi nombreux que les assaillants. Ils se barricadèrent à la hâte et firent feu par les fenêtres. L’avantage pouvait leur revenir… Heureusement, un des nôtres, un sergent-major de la garde, força la porte en tirant un coup de revolver dans la serrure…

Ce fut alors une mêlée indescriptible. Les hurlements de douleur, les cris de détresse et de rage, les imprécations furieuses, se croisaient au milieu du choc des armes. Du côté des vainqueurs les respirations sifflaient dans l’air, haletantes, épuisées par cette terrible besogne de bûcherons dans un taillis humain. À des défis criés dans une langue gutturale, répondaient d’affreux ricanements. Ni espoir à attendre, ni pitié à accorder.

Quelques décharges de fusil, faites à bout portant, remplissaient de fumée l’étroit espace où Français et Allemands s’étreignaient dans une lutte corps à corps, en nombre égal cette fois. Il n’y avait là aucune place pour le triomphe de l’usine Krupp : c’était poitrine contre poitrine qu’on se battait, face contre face.

On percevait d’étranges bruits, — ils ne s’entendent ailleurs que dans les abattoirs, — le bruit d’une tête que l’on fracasse, d’une épaule détachée d’un coup de sabre, d’un éventrement ; des bruits mats de chairs déchirées ou perforées. Le pied glissait dans le sang, et plus d’un franc-tireur étreignant son adversaire alla rouler avec lui contre le mur. Les Allemands qui gisaient déjà terrassés s’accrochaient, dans un suprême effort d’agonie, aux genoux prêts à les broyer et ne lâchaient prise que sous la pression d’une main qui étrangle ou le pétillement d’un revolver — dans l’oreille…

Quelques-uns de ces soldats de la landwehr se défendaient avec le courage du désespoir ; l’un d’eux, décoré de la Croix de fer, criblé de blessures, refusait encore de se rendre. En revanche le sous-officier du poste s’était fourré sous une table ; il fallut le tirer par les pieds de cette cachette…

Ces détails sont d’une scrupuleuse exactitude.

On ne fit guère de prisonniers, — huit en tout : les Prussiens ne fusillaient-ils pas les francs-tireurs qui tombaient entre leurs mains ? Cette poignée d’hommes venus à marches forcées, en courant tant de dangers, et menacés d’une retraite plus difficile encore, pouvaient-ils songer à ramener de nom-