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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/27

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

zouave, depuis compagnon du Devoir, qui naguère avait habité Toul et connaissait le pays.

Ce brave homme s’était fait un jeu de charger ses épaules du sac légendaire des soldats de l’armée d’Afrique. Il tenait là, assujettis par des courroies, une foule d’objets de quincaillerie, y compris sa gamelle. Il ne manquait guère à ce sac, pour être complet, que le chat de la compagnie perché dessus — ce chat qui, pour les zouaves, a remplacé le chien du régiment.

Bordelais la Rose, — c’était son nom, — ainsi équipé, trébucha dans une fosse ouverte sous la neige et fit avec son sac une culbute tellement bruyante et si ridicule que ses camarades ne purent réprimer un formidable éclat de rire, — malgré la gravité des circonstances.

Le moment était vraiment bien choisi pour s’égayer ! Ils se trouvaient si près de la station qu’ils apercevaient les vestiges roussis de la guirlande de feuillage qui avait décoré l’édifice tout pavoisé, lors du passage de nos troupes six mois auparavant ; ils voyaient distinctement s’agiter des ombres derrière les vitres. Ce qui pouvait tout gâter vint au secours des francs-tireurs. Au bruit de leurs rires, la porte de la station s’ouvrit, tandis qu’ils pénétraient dans la cour…

À la lueur projetée par cette porte, les francs-tireurs entrevirent les soldats du poste qui sortaient et se mettaient en rang pour recevoir cette reconnaissance si joyeuse. Leur physionomie n’exprimait que la surprise de la venue d’une nouvelle patrouille, si tôt après celle qui avait visité le poste un moment auparavant… Quelques-uns de ces hommes, brusquement réveillés, se frottaient encore les yeux.

Le chef de poste fit armer. Au même instant, le factionnaire des armes croisait la baïonnette sur l’officier qui marchait en tête de sa troupe, et criait : Halt ! Halt ! Wer da ?

L’officier lui répondit par deux coups de sabre en plein visage qui renversèrent le malheureux factionnaire. C’était le signal convenu : les francs-tireurs fondirent sur la proie qu’ils étaient venus chercher de si loin.

Alors sortit du gosier de ces hommes, si épouvantablement surpris dans leur quiétude, un hurrah ! étranglé, que plusieurs n’achevèrent pas. L’écrasement du poste avait commencé. Les baïonnettes crevaient les poitrines, les sabres coupaient les figures, les crosses de fusil s’abattaient lourdement sur les têtes. Les francs-tireurs abordaient leurs adversaires avec l’élan des vingt lieues qu’ils venaient de faire. Ce n’était pas un combat auquel il fût possible à ceux-ci de se dérober, c’était une extermination impitoyable. Nulle retraite