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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/300

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

— C’est une mauvaise journée pour moi.

— Mais puisque la journée est finie ! dit Emmeline avec un charmant sourire. Pourquoi ne montes-tu pas pour me voir danser ? La loge est pleine, les exercices sont commencés ; mais on te fera une place…

Une grosse dame bien coiffée, et enveloppée d’un cachemire passé de couleur, s’avança derrière Emmeline pour écouter ce qu’elle disait : c’était la dame assise d’ordinaire à la petite table où, entre deux chandelles, l’on acquittait en gros sous le droit d’entrer. Jean la connaissait de vue, et il la salua. À ce mouvement, Emmeline se retourna un peu effrayée de ce qui allait arriver.

— C’est à ce petit que tu parles ? lui demanda la buraliste.

— Oui, répondit-elle, embarrassée et craignant d’être grondée ; il est chagrin, et il ne veut pas venir ce soir, — comme les autres soirs.

— C’est vrai, il vient souvent, observa la grosse dame, tout étonnée de n’en pas avoir fait plutôt la remarque.

— Tous les jours, répéta la gentille danseuse.

— Monte donc, mon ami, dit la buraliste, d’une voix mielleuse.

Jean ne se fit pas prier plus longtemps ; il monta. Il sortait son porte-monnaie et allait se faufiler sous le rideau qui fermait l’issue de la salle, lorsque la buraliste se rasseyant à sa place, grâce à une savante pirouette, le retint par son vêtement.

— Tu les aimes donc bien les exercices de la corde raide ? lui dit-elle.

— Je les aime, quand c’est Emmeline qui danse, répondit Jean très ingénument.

Ce que voyant, la grosse dame pleinement rassurée soulevait déjà un pan du rideau d’indienne pour que Jean pût passer.

— Il y a bien Rosa et la petite Riquiqui, ajouta Jean, mais ce n’est plus la même chose.

— Pourquoi cela ?

— Parce que ! répondit Jean d’un ton qui semblait mettre un point final à une phrase.

— Parce que ? dit la dame rouvrant l’entretien.

— Parce que… je connaissais Emmeline avant de l’avoir vue ici, avant même de savoir son nom. J’avais son portrait dans ma poche… Le sien, — ou c’est tout comme !

Vous devez vous tromper, mon ami. Jamais le portrait de la petite n’a été fait. C’est une photographie ?