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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

suites de très beaux quais ; le port, bordé de constructions modernes ; la promenade du cours Boïeldieu — à droite, — avec la statue de bronze de l’auteur de la Dame Blanche ; le pont suspendu reliant le faubourg Saint-Sever, qui occupe la rive gauche de la Seine, et au-delà de ce pont toute une flottille de bâtiments marchands, dont les mâts, les agrès et les pavillons se confondaient en un enchevêtrement pittoresque, — barques et trois-mâts, accusant un développement de la navigation fluviale qui a plus que doublé en quelques années, grâce à des travaux d’endiguement. Plus loin encore, l’île du Petit-Gay, et l’île Alexandre ; puis un horizon de collines.

Sur la rive droite du fleuve, ils voyaient s’élever graduellement comme le sol, la vieille cité si longtemps l’objet de la convoitise des Normands, et dont Rollon, leur chef, fit une place d’armes et le centre de ses audacieuses expéditions. Au temps de la démence de Charles VI, Rouen avait soutenu encore un siège de six mois contre Henri V, roi d’Angleterre, ne cédant que vaincue par la famine, mais pour préparer, hélas ! une prison et un bûcher à Jeanne Darc.

Elle s’alignait tout entière en arrière de ses quais, la cité normande, laissant deviner un fouillis de rues tortueuses où les maisons du moyen âge se heurtent du front. Au-dessus des toits surgissaient son immense cathédrale, ses églises gothiques où l’art ogival de la Normandie et de l’Île-de-France est représenté par de parfaits modèles, ses clochers aériens, ses flèches audacieuses, ses nombreuses tours, et parmi celles-ci les tours Saint-Laurent et Saint-André, restes d’antiques édifices détruits au siècle dernier, la tour carrée de la Grosse-Horloge, de style gothique, où le beffroi, appelé aussi la cloche d’argent et plus communément « le Gros », sonne encore tous les soirs le couvre-feu : c’est une coutume à laquelle tiennent beaucoup de Rouennais. Le « Gros » n’est demeuré silencieux que pendant l’occupation prussienne de 1870-71, et ce fut une grande émotion dans la ville lorsque, le jour de l’évacuation, on entendit de nouveau le son aimé de la vieille cloche. — Des allées ombreuses font une ceinture à la ville.

À la gauche des deux amis se dessinait la place triangulaire de Saint-Sever, plantée d’arbres — entrée du faubourg de ce nom, l’un des plus populeux des six ou sept faubourgs de Rouen.

Quand ils reportèrent leurs regards en arrière, ils virent la Seine divisée d’abord en deux larges bras par l’île Lacroix — coupée de rues — à la pointe de laquelle, nous l’avons dit, se trouvait le terre-plein du pont de pierre ; au-delà, plusieurs îlots verts, piqués de peupliers, ornaient son lit plus qu’ils ne