Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/317

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

IV

Sur les grands chemins

Les deux jeunes garçons, tantôt marchant, tantôt courant arrivèrent en moins d’une heure à Petit-Couronne, échevelés, couverts de poussière.

— N’avez-vous pas vu un fou ? demanda Jean à un charron à jambe de bois qui se reposait de sa journée devant sa porte, à l’enseigne de Saint-Eloi.

— Un fou ! dit celui-ci. J’en vois bien deux ! Où courez-vous donc, comme ça, les gars ?

— C’est un Allemand.

— Ah ! c’est un Allemand que vous cherchez ? Un Prussien peut-être ? Dame ! J’ai bien couru après les Prussiens, moi, — avant d’avoir une jambe de bois, s’entend. — C’était le matin du 4 janvier 71. Ils avaient passé par ici en colonnes, venant de Rouen. Ah ! bien plus de vingt mille et même de vingt-cinq mille, avec trois douzaines de canons au moins, marchant serrés, tassés comme les saints de Caillouville, où l’on comptait plus de six cents statues de saints rien que dans la chapelle… Au matin, dans le brouillard, épais ce jour-là comme la vapeur des tenailles rougies plongées dans l’eau, j’avais rejoint, à Château-Robert, les mobiles de l’Ardèche et des Landes : des gaillards qui n’ont pas froid aux yeux, les mobiles de l’Ardèche, tous chasseurs, et qui vous tirent un Prussien mieux qu’un lièvre ! Aussi, du haut de la plateforme du vieux donjon, nous leur en avons administré du canon à ces gueux d’Allemands ! Le donjon était comme le moyeu d’une roue en feu ; les jantes de la roue, également en feu, c’étaient les Prussiens, qui nous bombardaient. Mais plus on en tuait, plus il y en avait. « Il en ressource », que je disais à un