Aller au contenu

Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/318

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
310
LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

camarade, lorsqu’au même moment je reçois au genou un éclat d’obus. Il fallut abandonner le plateau, pas seulement moi, mais les autres. À dix heures les Français manœuvraient au-dessus de la Bouille ; à deux heures et demie tout était fini. Compte fait, nous avions perdu six cents hommes et les Prussiens trois mille.

Jean écoutait, charmé comme toujours, quand on lui rappelait un succès de nos armes, si modeste fût-il ! Il en oubliait presque Hans Meister. Le charron parut ravi de l’effet produit et ajouta gaiement : — Donc, je comprends, mon gars, que tu coures après un Allemand. Si c’est un Prussien, tu lui réclameras ma jambe. Je suis comme une roue à laquelle il manque la moitié de ses raies : il n’y a pas de solidité.

— Oui, je vois… vous avez perdu une jambe… dit Jean. Moi, j’ai bien autre chose à réclamer ! Enfin vous n’avez pas vu l’individu en question ?

— C’est un fou ?

— Échappé de Quatre-Mares.

— Il a pris un bon chemin : il peut suivre la lisière de la forêt, jusqu’à Grand-Couronne, jusqu’à Elbeuf.

— Mais il faudra bien qu’il mange quelque part ? observa Barbillon.

— Dame ! oui, malgré qu’il soit fou !

— Nous sommes ici, adossés à la forêt de Rouvray ? dit Jean. Et sur la rive droite de la Seine ?…

— Sur la rive droite de la Seine se trouve la forêt de Roumare, répondit le charron.

— Y a-t-il quelque pont ?

— Pas un. Mais je te l’ai dit, mon gars, ton Prussien file sur la route de Rouen à Elbeuf, tout le long du chemin de fer. Il aura bientôt, après avoir dépassé Grand-Couronne, la forêt de Rouvray à sa gauche et la forêt de la Londe à sa droite, à son choix, pour cacher sa marche.

Jean réfléchissait. Il sembla prendre un parti.

— C’est bien, dit-il, s’il se laisse voir une seule fois, je le suivrai de loin jusqu’à Elbeuf. Et Jean fit signe à Barbillon de l’accompagner.

— Il y est allé, sans doute, se faire habiller de neuf, cria l’homme à la jambe de bois, qui n’avait pas perdu sa gaieté avec sa jambe.

— Eh bien ! en guise de drap d’Elbeuf, je lui ferai mettre une camisole de force, répliqua le petit Parisien, sans cesser de hâter, le pas.

À Grand-Couronne, Jean et Barbillon firent quelques provisions chez le