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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/319

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

boulanger, — toujours en demandant des nouvelles d’un personnage étranger au pays. Là, rien comme renseignement. Ils se remirent en route.

— S’il était retourné du côté de Rouen ? suggéra Barbillon.

— Pour se faire reprendre ? Il s’en garderait bien !

Tout à coup Jean, suspendant sa marche, étendit la main pour arrêter son camarade : à cinq ou six cents pas, un homme s’éloignait, faisant de grandes enjambées, balançant les bras ; il venait de quitter le bord de la route où il s’était assis. Jean crut reconnaître le compère de Jacob Risler. Le chemin s’avançait tout droit, à perte de vue, longeant de très près la voie ferrée.

— Ce doit être notre homme, dit Jean. Il faut nous jeter dans la forêt, et marcher à couvert…

C’est ce qu’ils firent, en se tenant aussi près que possible de la route. Bientôt elle s’engagea entre les forêts de Rouvray et de la Londe ; elle faisait des courbes qui ne permettaient plus de voir au loin — ni d’être vu. Les deux jeunes garçons sortirent de la forêt et suivirent de nouveau la route. Un voiturier en bourgeron, le bonnet de coton bleu flottant sur l’oreille, conduisait une charrette de bois à brûler à Rouen. Il vint à passer près d’eux.

— Mon brave homme, lui dit Jean, n’avez-vous pas rencontré un étranger à quelque cent pas en avant ? Et il dépeignit assez exactement la physionomie et la tournure de Hans Meister.

— Si fait ! Je l’ai vu comme je te vois ; mais avec moins de plaisir, répondit le voiturier. Il me rappelait quelque chose de désagréable, je ne sais pas quoi, ajouta-t-il en éloignant sa pipe de la bouche.

— Je vais vous dire ce qu’il vous rappelait : les Prussiens dans le pays ! fit le petit Parisien.

— Peut-être bien ! Ah ! peut-être bien ! C’est donc un Prussien ?

Le voiturier allait arrêter sa charrette ; mais Jean satisfait du renseignement obtenu fit mine de s’éloigner et rompit l’entretien.

— Hâtons le pas ! dit-il à l’ami Barbillon.

Celui-ci, tout en marchant, faisait le procès de la tante Pelloquet ; mais Jean ne l’écoutait guère. Toutefois le petit mousse qui ne voulait pas subir de nouveau les sévérités de sa tante, et ne tenait plus à naviguer, depuis le naufrage du Richard Wallace, ne s’éloignait de Rouen qu’à contre-cœur. Il fallut que Jean lui promît de le ramener en chemin de fer.

Ils parlaient un peu haut, lorsqu’à un détour de la route, ils se trouvèrent soudain à cinquante pas de l’Allemand. Celui-ci se retourna brusquement, les vit, et entra dans la forêt de la Londe.