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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

— À l’Hôtel de ville, répondit Jean au hasard.

— C’est près de la place Porte-de-Rouen : nous y arrivons.

En quelques tours de roues on se trouva, en effet, sur cette place. La pluie avait cessé de tomber. Jean remit au jeune paysan le prix convenu du voyage, et ce fut pour celui-ci un véritable soulagement : sa crainte avait réellement été jusque-là de voir les deux gamins, tout à fait légers de bagages, se laisser glisser de sa carriole par derrière et s’esquiver dans les champs, ou « s’agrioter » dans les bois.

— Voulez-vous pas retourner à Elbeuf… au même prix, men p’tiot monsieur de Paris ? dit le Normand au jeune garçon. Son bonnet ôté, il se grattait le derrière de l’oreille pour s’encourager à conclure un nouveau marché avantageux.

— Oh ! que non ! lui répondit Jean. Puis se ravisant, il demanda : Quand repartez-vous ?

— Quand deux heures sonneront à la tinterelle. Sans être souliban[1] je vas tout de même mâquer un morceau… une écuellée de soupe. Dame ! je sommes levé depuis la crique du jour.

— Eh bien, il se peut que je vienne vous retrouver avant cette heure, s’il m’est possible de terminer les affaires pour lesquelles je suis venu à Louviers.

Jean entraîna Barbillon du côté des manufactures. Il comptait s’y prendre mieux qu’à Elbeuf. Les deux jeunes garçons pénétrèrent dans la cour d’un grand établissement de construction de machines. Au milieu de la cour, nombre d’ouvriers hissaient sur un chariot massif plusieurs lourdes pièces, destinées à figurer à l’Exposition universelle de Paris qui devait s’ouvrir quelques mois plus tard.

Jean questionna :

— Avez-vous des ouvriers allemands… parmi vous ?

Un ouvrier de haute stature, noirci par la forge, se retourna à demi, esquissant un sourire dédaigneux.

— Il n’y a pas de ça, ici, dit-il. Tu te trompes de porte, mon gars.

— Tant pis et tant mieux ! fit Jean.

— Quoi, tant mieux ?

— Qu’il n’y ait point d’Allemand…

— Et tant pis ?

  1. Gourmand.