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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/375

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

« p’tit quinquin » ? un des nouveaux amis de Jean expliquait vite le mot : Quinquin, diminutif de Kind, signifiait enfant, enfantelet. Il paraît que le petit quinquin ne faisait que braire pour avoir un livre ; braire, à la rigueur cela se comprenait… La bonne femme avait dit au p’tit quinquin pour « l’amicloter » : « J’ t’acat’rai le jour de l’ducasse un porichinelle, avec un turlututu » ; mais le p’tit quinquin voulait un livre : Il n’y a que des « canchons qui le rendront bénache » — Chansons, bien aise, traduisaient les obligeants garçons. C’était fort gracieux de leur part. Et la vente marchait.

Cela faisait prendre patience à Jean, l’empêchait de se languir dans cette ville si nouvelle pour lui. Aussi, ne quittait-il son étalage qu’assez tard, le soir, pour se rendre au modeste hôtel de la rue Esquermoise, où son patron l’avait logé.

La fête n’était pas finie partout : les chevaux de bois tournaient encore au son de l’orgue déroulé à grands tours de bras ; des fusées lancées à la carabine allaient chercher le volatile suspendu au bout d’un mât, à côté d’une lanterne ; dans les loges et les cirques les fanfares éclataient, crevant la toile, des coups de fusil annonçaient le dénouement des pantomimes militaires, et, par instants, dominant le brouhaha, rugissaient les lions de Bidel. Le fait est que l’heure de vendre des livres était passée depuis longtemps que, du côté où l’on s’amusait, la gaieté s’animait encore avant de s’éteindre.

Mais Jean se souciait fort peu de tout ce qui n’était pas son petit commerce ; non qu’il fût pris tout d’un coup de cet amour des affaires qui ne va pas sans l’amour du lucre ; mais les saltimbanques de Lille lui rappelaient les saltimbanques du Havre ; les larmes lui venaient aux yeux ; il pensait à la petite Emmeline, et plus la fête était bruyante, plus il se sentait seul et désolé.

Son indifférence du reste s’étendait à tout. Au bout de quinze jours, il ne connaissait guère de Lille que les innombrables moulins à vent — on les compte par centaines — éparpillés dans la plaine autour de la place forte, comme un bataillon de tirailleurs, — comparaison qui n’a rien de risqué puisque Don Quichotte prenait des moulins à vent pour des géants armés. Et encore, à quel moment Jean avait-il découvert ces moulins, beaucoup plus nombreux jadis, et qui servent à la trituration du colza ? En arrivant à Lille : son attention avait été attirée par tant de moulins, à droite et à gauche de la voie… Depuis, il semblait n’avoir, plus rien vu.

Il se faisait pourtant une idée générale de l’importante ville, entourée en certains endroits d’une triple enceinte de remparts, et fortifiée d’une citadelle