Aller au contenu

Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/379

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
371
LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Et pour être certain de n’être point vu, il n’attendit pas la fin des spectacles pour déserter le champ de foire : il aviserait à un moyen de se renseigner.

Ce moyen, il le trouva le lendemain au moment où il venait de renouveler de la façon la plus séduisante à l’œil les collections de ses livres populaires. Jean pensait qu’il pouvait être aperçu dans sa boutique par Jacob Risler, ou la grosse dame, et même, pourquoi pas ? par Emmeline ; et il se dissimulait le mieux possible derrière un rideau de journaux illustrés ; regardant s’avancer de loin les promeneurs qui se dirigeaient de son côté. Il prenait à cet effet ses dernières dispositions, lorsqu’il vit arriver un de ces jeunes gens de la ville qui l’avaient pris en amitié.

C’était le fils d’un riche brasseur, qui inaugurait son entrée dans la vie par une flânerie non interrompue, — ainsi le désirait sa mère ; et le fils traduisait la volonté maternelle par ce proverbe flamand : Travailler est le lot des imbéciles.

Grand et fluet, voûté presque, bien qu’il n’eût pas vingt ans, Quentin Werchave disait de lui-même, en riant, qu’il n’était pas un Flamand, mais un Flandrin ! Et ce jeu de mots le réjouissait fort. Il n’y avait pas son pareil pour congédier et tenir tête, au besoin, derrière l’étalage de Jean, à quelque désœuvré bien décidé à ne rien acheter et feuilletant l’un après l’autre tous les livres avec autant de sans façon que dans un cabinet de lecture.

— Bonjour, min p’tit pouchin ! min gros rojin (mon petit poussin, mon gros raisin) s’écria-t-il en pénétrant en deux doubles par la petite porte de la boutique — ou du kiosque, si l’on préfère un mot plus moderne.

Jean lui serra la main et le fit asseoir.

— Vous avez l’air soucieux ce matin, observa le Flamand. Tu sais, je ne m’inquiète point de ce qui ne me regarde pas : Fou est celui qui se brûle à la marmite d’un autre ; cependant quand il s’agit de vous…

— Vous avez deviné juste, mon cher Werchave, répondit Jean, j’ai une préoccupation qui m’absorbe.

— Eh bien ! Expliquez-vous en librement avec moi. Il y a un proverbe qui dit : Le sage va consulter le fou et rencontre la vérité.

— Soit ! dit Jean. Et il raconta au fils du brasseur comment il avait cru découvrir, au Havre, une fillette enlevée à sa famille, ce qui s’en était suivi, et la réapparition de cette même fillette, grandie et embellie, dans une baraque de saltimbanques, en compagnie d’une sorte d’ogresse et d’un certain Risler qui… On devine tout ce que Jean put dire. Il avoua qu’il voudrait bien savoir