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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/394

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

encolure, culbutés par les chiens de berger au poil dru qui obéissent à un geste de commandement, courent après eux en aboyant, les prennent en écharpe, les poursuivent et les rassemblent en troupeaux pour être menés du côté des pâturages, tandis que sont parqués dans les prairies voisines les jeunes veaux et les poulains gambadants. Çà et là gloussent les oies, cancanent les dindes, s’égosillent les coqs, roucoulent les pigeons ; les vaches meuglent, les brebis bêlent, les chevaux hennissent. Toute cette gent de poil et de plume, bondit, rue, saute à travers les litières, les flaques de purin, dans le brouillard chaud des fumiers sortis des étables et des écuries, et que l’on charge à la fourche dans les charrettes qui doivent les transporter au milieu des terres.

À tout seigneur tout honneur ! Voici d’abord le maître de la ferme, qui règne souverainement dans ce petit domaine d’où le régime parlementaire est exclu. Il commande, et tout le monde obéit. C’est un homme bien découplé, vigoureux, brun avec des yeux très clairs tirant sur le bleu pâle des faïences, marchant d’un pas égal et cadencé. Il donne ses ordres brièvement, distribuant à chacun sa tâche, ne consultant aucun de ses subordonnés, parce qu’il sait mieux que n’importe qui, ce qui doit être fait pour la bonne gestion de sa ferme. Il y a pensé la nuit dans les heures d’insomnie ; ce n’est pas pour rien qu’il se présente toujours avec un air réfléchi et absorbé. Si vous le rencontrez dans la matinée, sans vous regarder il vous souhaitera le bonjour d’un ton sec. On peut dire qu’il ne connaît personne avant l’heure du dîner. Mais vienne le soir, après le repas ; alors, rayonnant et affectueux, il redevient père de famille. Hospitalier, il cause avec plaisir : ses manières sont avenantes ; il a abandonné le ton du commandement, la parole brusque qu’il se croit obligé de prendre pour diriger ses légions d’ouvriers et de domestiques. Dans la tiédeur du milieu familial, près des jeunes têtes blondes et brunes dont les lourdes nattes s’allument aux reflets des lampes, son front se déride, ses sourcils se détendent, et comme un homme qui se réveille, il met une grâce souriante à caresser ses enfants.

Les filles de la maison, les servantes vont et viennent dans l’habitation et au dehors. Les unes lavent le plancher à grande eau et font reluire les meubles avec une ardeur digne de louange. Chaque jour on en fait autant. D’autres servantes s’occupent des animaux ; la grande et forte Marie — le cheval de trait comme l’appelle le maître, — emporte dans d’énormes seaux les pommes de terre pétries avec du son et du lait de beurre, destinées au repas