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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/398

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

remplace la tisane de réglisse, comme la soupe grasse a remplacé le brouet national de petit-lait et de tranches de pommes. Au dessert, des bouteilles de bon vin circulent parmi eux, sans oublier le cognac avec le café. Il y a là de quoi donner de l’élasticité aux jambes les plus raidies par le labeur quotidien, et c’est une excellente préparation aux danses qui doivent occuper le reste de la journée.

Au dehors, de joyeux carillons remplissaient l’air de leurs vibrations ; et déjà les cornets à piston de l’orchestre villageois déroulaient des airs de valse ou faisaient sautiller une polka.

C’était vraiment une belle journée d’octobre.

Après le rôti, Jean, en sa qualité d’hôte, eut l’honneur de confectionner la salade. Très fier d’être traité en homme, il l’assaisonnait à la mode de Paris ; mais il dut sur les réclamations de l’assistance, ajouter au vinaigre un demi-verre de vin de Bordeaux : la salade n’en fut pas plus mauvaise, — au contraire.

Cependant au village une rumeur s’élevait ; des propos s’échangeaient sur le seuil des portes ; chacun questionnait et personne ne semblait prêt à donner la raison d’être dans le pays d’un personnage énigmatique absolument inconnu, sans parenté avouable, et qui semblait fourvoyé au milieu de la ducasse.

Cet intrus, bien planté sur ses deux pieds, avait un air rébarbatif et bonasse tout à la fois, une trogne enluminée ; un regard provocateur. On l’eut dit capable de vider sa bourse pour régaler le premier venu, mais d’humeur, aussi, à vaincre à coups de poing toute résistance opposée à ses politesses.

À la faible distance de Dunkerque et de Calais où se trouve Bambecque, on n’est pas, au village, sans avoir une idée de la tenue d’un marin. Il fut donc décidé, après quelques commentaires égarés et paroles perdues, que l’étranger devait être un marin venu à la ducasse en quête de distractions orageuses, — un vrai trouble-fête…

C’était bien un marin, en effet, un vieux loup de mer, attiré à Bambecque, non par la célébrité de sa modeste ducasse, mais par le désir d’y retrouver une ancienne connaissance, une demoiselle avec laquelle il avait beaucoup dansé à une ducasse datant peut-être bien d’une trentaine d’années, et de qui il avait obtenu la main, à la suite de pressantes instances. Il venait, enfin, convaincu, mais fort perplexe, réclamer l’exécution de cette promesse arrachée entre deux quadrilles, si toutefois la belle était encore de ce monde. On ne peut pas toujours naviguer, et le vieux beau parfumé au goudron pensait qu’un fin très enviable était de s’échouer dans le mariage, — de s’arrimer dans