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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/405

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

années avait vécu sous ce toit béni. Le pauvre vieux, à qui étaient confiés la garde et le soin de la bergerie, se sentant incapable de s’acquitter plus longtemps de sa tâche en homme soigneux et honnête, voulait s’en aller. Et il s’en allait, le cœur brisé, mais aussi avec la conviction qu’il remplissait un devoir ; rien n’avait pu le retenir, aucune bonne parole des maîtres, aucune promesse de lui laisser achever sa vieillesse dans cette maison, à la prospérité de laquelle il avait travaillé de toutes ses forces, tant qu’il avait eu des forces.

Il est vrai que le père Martin en s’éloignant n’allait pas à l’aventure. Marié à une femme qui habitait un village à vingt lieues de là, il retournait enfin auprès d’elle, cette fois pour ne plus la quitter. Et puis il reviendrait en visiteur ; il reviendrait souvent voir si ses maîtres continuaient d’être heureux, et si ses moutons — ou du moins le troupeau — avait réellement gagné à changer de mains, comme il l’espérait.

Le père Martin ému jusqu’aux larmes parcourait la maison. On entendait sa voix dans l’escalier. C’étaient des adieux navrés comme on en adresse aux morts, mais c’est lui, dont la vie écoulée arrivait à son terme, qui disait cet adieu aux vivants, aux jeunes.

Le vieux berger avait vu naître la maîtresse de la maison, et tous ces enfants qu’il quittait ; bambins, il les avait portés dans ses bras avec cette tendresse acquise à rapporter soigneusement des pâturages, les agneaux nouveau-nés ; il les avait vus grandir, les garçons devenir forts et hardis, les filles belles et respectueuses, les uns et les autres se marier, augmenter la famille de nouveaux rejetons, et il se répandait en gémissements ; son affliction trahissait sa volonté ; mais sa faiblesse n’allait pas jusqu’à accepter cette offre faite de si grand cœur : — Restez ici, père Martin, vous aurez toujours votre place auprès de nous, à notre foyer, nous vous soignerons. Non, non, ce n’était pas possible, ces choses-là ne se font pas. Mieux valait dire adieu à tous, adieu tout de suite puisqu’il avait encore la volonté de partir. — Adieu mon petit Paul ! adieu mon Albert ! adieu ma Cornélie ! adieu ma Noémie ! adieu ma Berthe ! adieu mes beaux enfants ! adieu ma chère et bonne maîtresse ! adieu mon maître !

Il entra dans la chambre où Jean était couché. Il voulait serrer la main au petit monsieur de Paris. Il s’approcha du lit d’un pas vacillant et Jean vit trembler cette tête respectable, toute blanche de cheveux descendant jusqu’aux épaules. Le petit Parisien plaisait beaucoup au père Martin parce qu’il lui rappelait Paris, visité par lui lors de l’Exposition universelle de 1855 au