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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/42

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Bordelais la Rose, tout en glissant une cartouche dans son fusil à tabatière se mit à marcher en deux doubles. Il fit ainsi une trentaine de pas, et s’arrêta derrière un chêne. Là, se redressant vivement, il visa sans perdre une seconde. Une nouvelle décharge envoya une balle à quelques mètres de la troupe ennemie : le projectile frappa sur un bloc de granit, en détacha quelques menus fragments et fit voler un peu de poussière.

— Court ! exclama l’ancien zouave, qui avait suivi la direction de son coup de feu. On va réparer ça.

Une troisième détonation rendit un bruit sec. Ce fut encore une balle perdue.

En ce moment les soldats de la patrouille, se croyant sérieusement attaqués, abandonnèrent le petit chemin, sur le commandement de l’officier qui les dirigeait, pour s’éparpiller et se dérober parmi les arbres de la côte d’en face.

Jean n’apercevant plus les ennemis, les crut en fuite, ou morts ; et il se mit à battre des mains. Quant au vieux soldat, en voyant le peloton exécuter ce mouvement, il se laissa glisser sur la neige d’une pente en criant encore une fois à son petit protégé :

— Ne bouge pas, moutard !

Presque aussitôt la réplique à son attaque lui était donnée par l’ennemi. Une grêle de balles vint pleuvoir à l’endroit où se trouvait Jean et du côté du chêne d’où l’ancien zouave avait deux fois déchargé son arme.

Alors commença un singulier combat de mousqueterie. Les Prussiens visaient les endroits où se produisaient, successifs et répétés, les éclairs du « flingot » du franc-tireur. Celui-ci changeait de place à chaque coup déchargé sur les ombres rapides qui s’agitaient derrière les arbres, et cherchait à s’établir sur un point avancé pouvant lui permettre de se placer sur le flanc de l’ennemi. Cette manœuvre fut devinée par l’officier des landwehrs, qui pensait avec raison n’avoir pas affaire à de nombreux agresseurs. Il commanda à ses hommes de retraverser la voie, de se déployer en tirailleurs et d’escalader la colline afin de cerner l’invisible ennemi.

Au moment où les soldats se trouvaient de nouveau en vue, sur la route, Bordelais la Rose, ajustant avec soin un petit groupe, eut la satisfaction de voir tomber un de ses adversaires, atteint aux jambes.

Il poussa un grand cri de joie, qui fit allonger la tête au petit Jean.

L’enfant ne voulait rien perdre de la « bataille » à laquelle il assistait. Les balles sifflaient à ses oreilles, ricochaient autour de lui, mais sans l’effrayer.