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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/43

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Le pauvre petit ne comprenait véritablement la mort que donnée par un soldat moustachu, très en colère, grondant et jurant dans un langage inconnu, roulant de gros yeux et le saisissant, lui chétif, par une oreille pour lui couper la tête. Sa conception n’allait pas au delà de Croquemitaine. Or on sait qu’il y a passablement loin de Croquemitaine à M. de Moltke.

Aussi le petit garçon se troubla-t-il réellement lorsqu’il entendit assez près de lui de grosses voix qui s’interpellaient, menaçantes, et que bientôt après deux soldats irrités abattaient une rude main sur lui.

— Ce n’est pas moi ! ce n’est pas moi ! cria-t-il, tandis que de grosses larmes venaient se ranger sous ses longs cils blonds, comme pour le défendre, — les larmes sont la défense du faible, de l’enfant…

— Où est ton père ? hurla en français un Prussien de ces provinces rhénanes qui ont appartenu à la France.

Du moment qu’on ne lui parlait pas en allemand, le petit Jean reprit toute son assurance, — et il en avait beaucoup.

— Je ne suis pas avec mon père, dit-il. Ne me faites pas de mal.

— Avec qui es-tu, dans ce bois ? avec ton frère ? avec des gens du voisinage ? Tu es avec quelqu’un, moucheron !…

— Avec qui je suis… dans ce bois ? répondit l’enfant lentement, pensant venir en aide à « M. Bordelais » en retenant ces deux soldats furieux.

— Oui, avec qui ? dit le deuxième soldat. Parle vite, tarteiffle, ou je t’écrase !

Le courage revenait à l’enfant ; il le sentait croître en lui avec son importance. Dire de quel côté il avait vu disparaître « M. Bordelais » un instant auparavant ?… quant à cela, jamais !

— Conduisez-moi à votre général, fit-il en redressant sa petite taille. C’est à lui seul que je parlerai.

— Morveux ! dit le premier soldat. Et il allongea à l’enfant un coup de pied dans les jambes. Mais la force de ce coup de pied, donné de côté, fut diminuée de tout le dédain qu’inspirait au soudard l’humble créature. Pourtant le petit tomba sur les genoux.

Mais il se releva fièrement, et prenant un air très digne :

— Troupier, dit-il, j’n’aime pas les bottes d’oignons. On ne frappe pas les prisonniers, on les fusille.

En parlant ainsi le petit Risler, discrètement, fit rentrer un bout de chemise qui flottait par derrière hors de sa culotte fendue, puis il croisa ses bras sur la poitrine avec un air plein de résolution.

Les deux soldats eurent un rire semblable à un grognement. Ils échangèrent