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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/429

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

de se trouver sains et saufs au milieu de ceux qu’ils ont quittés, se montrent si heureux de rapporter un pécule amassé au prix de rudes labeurs et de tant de dangers ! La part de ces marins varie de mille à quinze cents francs.

Détruit complètement à la suite du traité d’Utrecht, le port de Dunkerque ne fut tiré de son anéantissement que par les travaux gigantesques entrepris au commencement du siècle. Cette restauration ne s’est achevée qu’en 1845 ; mais les navires d’un fort tirant d’eau ne trouvaient pas accès dans les bassins. Depuis 1860 seulement, trois bassins à flot reçoivent des navires de 1,000 tonneaux. Ce n’était pas encore suffisant, et l’on dut songer à entreprendre une série de travaux, avec une dépense évaluée à cinquante millions, pour avoir un quatrième bassin à flot, porter de trois à cinq le nombre des écluses de chasse, établir des darses, prolonger les quais, élargir et rendre plus profond le chenal.

Jean, bien qu’il connût l’animation de Nantes et du bas de la Loire, fut frappé du grand mouvement de ce port de Dunkerque, placé à l’extrême nord de la France et presque à la frontière. Le long des quais s’alignaient sur plusieurs rangs et battant pavillons de toutes couleurs, les fins voiliers venus d’Amérique et d’Australie, et les robustes coques des bâtiments des ports du nord de l’Europe, à la forte carrure rebondie, capable de résister au besoin à la pression des glaces. Des chalands, des canots remplissaient le peu d’espace laissé libre entre eux. Le vent et la marée froissaient et faisaient craquer les navires trop rapprochés l’un de l’autre.

Mâts et vergues semblaient se mêler, s’enchevêtrer dans une confusion extrême, rendue en apparence inextricable par un lacis embrouillé de cordages. Les vapeurs en partance rejetaient par leur cheminée une fumée noire. Ceux qui démarraient laissaient derrière eux un bouillonnement d’eau remuée par une hélice invisible.

Les quais apparaissaient encombrés par de prodigieux entassements de marchandises apportées de toutes les parties du monde, et dont les odeurs âcres, rances, nauséabondes, parfois un parfum épicé, trahissaient la nature et l’origine. Les grues pirouettant sur elles-mêmes, allaient plonger leurs multiples chaînes dans les flancs des navires, pour en tirer de lourds fardeaux, déposés à terre méthodiquement. Les barriques se rangeaient auprès des barriques, les caisses, les sacs, les ballots énormes s’empilaient, les céréales remuées à la pelle s’amoncelaient sur de larges toiles, les cuirs, les peaux de bêtes s’entassaient, dépouilles raidies des grands troupeaux de l’Amérique du