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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/479

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

» Le maréchal, vous le savez, avait été blessé au commencement de l’action. Il donna le commandement au général Ducrot, qui demeurait, lui, fermement convaincu que la seule chance de salut pour l’armée était une prompte retraite sur Mézières. Divers mouvements en ce sens commençaient à s’opérer, lorsque le général de Wimpffen, arrivé la veille d’Algérie, fit savoir qu’il était porteur d’un écrit du ministre de la guerre l’investissant du commandement en chef, au cas qu’il arrivât malheur au duc de Magenta. Or, Wimpffen pour entrer autant que possible dans les vues du ministre, même dans l’extrémité où l’on se trouvait, voulait diriger l’armée du côté de l’est, du côté de Metz et de Bazaine. Bazeilles qu’on pouvait abandonner en suivant le plan de Ducrot, devenait une position importante, à conserver à tout prix, si le plan de Wimpffen obtenait la préférence. Les choses en étaient là, lorsque l’armée du prince royal de Prusse, dont seuls les deux corps Bavarois avaient passé la Meuse, — ou plus exactement le 1er corps et une partie du 2e — prononça, sur la rive gauche de cette rivière, le mouvement tournant qui devait fermer à l’armée de Châlons toute possibilité de retraite sur Mézières.

» La bataille était perdue.

» La résistance devait faiblir dans Bazeilles, livré à toutes les horreurs de la guerre, et qui bientôt n’allait plus être qu’un amas de ruines fumantes.

» L’infanterie de marine, sur 10,000 hommes engagés en eut, dans ces deux journées, près de 4,000 tués ou blessés. Quant il fallut reculer, elle combattit jusqu’aux murs de Sedan.

L’ex-ambulancier s’arrêta — comme s’il avait tout dit.

Modeste Vidal et Jean l’écoutaient, et lorsqu’il suspendit sa parole ils éprouvèrent un serrement de cœur : ils comprenaient ce que signifiait cette lacune intentionnelle dans le récit : l’armée détruite, tourbillonnant sur elle-même, subissant l’attraction de cette place de guerre sous laquelle elle se trouvait, et s’y précipitant tous rangs, toutes armes confondus, cavaliers, fantassins, artilleurs pêle-mêle ; puis la capitulation, et les soldats prisonniers, sans pain, dans le camp de la Misère…

Le brave homme qui suivait leurs réflexions douloureuses se fit violence pour retrouver ses souvenirs, et reprit :

— Une ambulance de la société internationale, demeurée à Mouzon pour le pansement des blessés, s’était dirigée vers Sedan, dès les premières lueurs du jour, le vendredi 2 septembre. Dans une sorte d’omnibus avaient pris place le docteur Pomier, un publiciste distingué, M. Charles Habeneck, en qualité