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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/480

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

d’infirmier major, l’abbé Domenech, qui a visité et décrit le Texas et l’Irlande, un dessinateur de très grand talent, M. Lançon, et deux autres infirmiers. C’était bien peu de monde en présence de tant de souffrances à soulager !

» M. Habeneck a consigné dans un petit livre, plein d’une émotion patriotique, les impressions de ce voyage vers un lieu où tout indiquait une immense catastrophe. La plus épouvantable déroute s’accusait partout : les chemins et les champs encombrés de caissons et de voitures éventrés et brisés par les boulets ; des soldats morts, des chevaux blessés hennissant pour appeler du secours et laissant retomber leur tête pour expirer, même des moutons, des chiens tués ; des malles d’officiers mises au pillage et leurs papiers jonchant le sol. De temps en temps, ils croisaient quelque détachement ennemi ou plusieurs de ses voitures du train.

» Au petit Remilly, ils se trouvèrent au milieu d’un grand nombre de Bavarois, reconnaissables de loin à leurs casques à chenille noire. Il y avait là, dans une grange, de nombreux blessés laissés sans aucun secours. Quand ils furent un peu plus loin une fumée noire montait lentement vers le ciel devant eux : c’était Bazeilles.

» La plaine où ils s’engagèrent avait été tellement foulée aux pieds par les hommes et les chevaux que le sol en était devenu ferme et battu comme celui d’une route. Ils avancent et font la rencontre d’une colonne de prisonniers français, quelques soldats avec un officier ; puis, les menottes aux mains, des paysans et parmi eux des vieillards et des femmes que l’on allait fusiller, parce que les habitants du village avaient pris part à la lutte. On s’était emparé surtout des vieillards et des femmes : les hommes et l’élément jeune de la population s’étaient retirés avec les soldats du côté de Sedan lorsque le combat était devenu impossible.

Au chemin de fer, deux locomotives abandonnées demeuraient sur la voie. Devant la station de Bazeilles détruite et ravagée, les Bavarois pillaient des wagons à marchandises remplis de pains de sucre. Un officier Bavarois voyant un prêtre parmi le personnel de l’ambulance s’approcha et raconta en pleurant ces deux jours de bataille dans lesquels les Bavarois avaient tant souffert ! Et il supplia l’aumônier de consentir à dire les dernières prières pour les officiers morts qu’on allait enterrer ; parmi eux, il avait deux frères. L’abbé Domeneck ne pouvait refuser. Déjà une musique retentissait jouant la marche de la Symphonie héroïque de Beethoven (très méthodiques ces Allemands ! et prévoyants !) c’était le convoi funèbre des officiers morts qui s’avançait.