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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

après l’autre, — sauf celles à qui les obus avaient mis le feu comme pour fournir d’avance au général Von der Tann une raison plausible à faire valoir. Leurs toits enfoncés, leurs volets brisés et arrachés de leurs gonds, leurs portes jetées bas, leurs fenêtres brisées et obstruées par des matelas, disaient l’ardeur de la lutte, l’opiniâtreté de la résistance.

» À chaque pas nous nous heurtions aux cadavres de quelques soldats de ces beaux régiments de l’infanterie de marine, sur lesquels chaque chef dirigeant — Mac-Mahon, Ducrot et Wimpffen — avait compté pour faire pivoter l’armée entière soit vers l’est, soit vers le nord. En certains endroits, la fumée était si épaisse que c’est à peine si l’on apercevait de près les murailles croulantes des maisons sur lesquelles les Bavarois exerçaient leur rage.

» Nous montâmes jusqu’au grand château où l’infanterie de marine avait eu son ambulance.

» Les Bavarois l’occupaient maintenant. Les nôtres y avaient laissé quelques blessés, dont l’état grave ne permettait pas le transport. Dans un bassin ornant la pelouse, et dans une fosse creusée à la hâte, les vainqueurs enterraient les morts, — les leurs et les nôtres.

» À un petit carrefour où viennent se croiser les routes de Balan et Sedan, de Bazeilles et de la Moncelle, se trouve un petit cabaret avec cette enseigne « À la petite Californie ». À la porte de ce cabaret se dressait un monceau de cadavres à côté de trois pièces de canon abandonnées. Je suivis ces messieurs de l’ambulance dans la salle basse ; nous y comptâmes les corps de vingt-sept de nos braves soldats. Près de la maison, dans un petit potager planté de choux, les morts et les blessés gisaient si pressés et tellement défigurés que l’on confondait les têtes des hommes avec les têtes de choux : M. Habeneck a noté dans son livre cette étrange et navrante impression.

» Dans l’embarras où se trouvaient le docteur Pomier et M. Habeneck pour installer une ambulance, un officier Bavarois leur conseilla de s’établir dans une fabrique de drap contiguë au château de la Ramaurerie. Nous y allâmes. La société de secours aux blessés prussiens occupait déjà les bâtiments de cette fabrique. Ils ramassaient activement leurs blessés et aussi les Français. Nous vîmes là, placés devant la façade du château, sur des civières, de malheureux soldats blessés très grièvement : il était absolument impossible de rien tenter pour les secourir ; et ils attendaient la mort… Triste fin pour ceux des nôtres qui voyaient approcher le dernier moment les yeux fixés sur ce sol de la patrie arrosé de leur sang, répandu pour le dé-