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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/490

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Nancy est aussi une ville d’université ; déjà dotée avant la guerre de plusieurs facultés, elle a reçu de Strasbourg divers grands établissements d’instruction publique : son ambition est de devenir l’intermédiaire scientifique entre les autres villes de France et l’Allemagne. Pour occuper cette situation exceptionnelle, elle a déjà les ressources que lui donne sa bibliothèque publique comptant 40,000 volumes, ses archives départementales, ses collections, ses musées, son jardin botanique, son cabinet d’histoire naturelle. De sorte que l’on peut dire que la guerre franco-allemande a donné à Nancy une place enviable dans le domaine des lettres, des sciences, des arts, comme dans celui de l’industrie. Le proverbe se réalise une fois de plus : À quelque chose malheur est bon ; — hélas !

À Nancy, Jean se trouvait à une douzaine de lieues du Niderhoff, — où était la maison paternelle ; mais sur une terre devenue allemande. Là, également, était la tombe de sa pauvre petite sœur ; oubliée ? non ; laissée comme un gage plutôt, — un gage qu’on viendrait un jour réclamer, avec nombre d’autres. Dans ces campagnes, dans ces défilés marquant les dernières ramifications des Vosges, quelque part aussi, une fosse s’était ouverte pour recevoir son père, le volontaire de Fontenoy, et se refermer, ignorée… Que d’impressions troublantes ! L’adolescent revoyait dans le passé cet exode de toute une population abandonnant le sol natal pour conserver le nom de Français. Ces braves gens renonçaient à leur foyers, à leurs propriétés, à leur bien-être, aux lieux où ils avaient le droit de vivre et de mourir ; ils optaient pour la misère peut-être, et les hasards de la vie errante, mais ils rapportaient leur cœur à la patrie commune, — leur cœur pour l’aimer plus tendrement que jamais, leur poitrine pour la défendre lorsque l’heure serait venue.

Aux derniers jours de septembre 1872, Jean avait vu les chemins de fer encombrés de fugitifs ayant refusé d’accepter les conséquences du traité de Francfort ; — il était lui-même au nombre de ceux qui reculaient devant l’invasion : sa grand’mère ne voulait pas être la grand’mère d’un Allemand ; et elle l’emportait au loin, abandonnant tout le reste. Partout des émigrants affluant vers la France : sur les routes, le long des sentiers des montagnes, dans les gares des chemins de fer. Les jeunes gens fuyaient devant la conscription prussienne. Et il y avait des séparations douloureuses à tout bout de champ, au carrefour des chemins, aux portières des wagons…

De pauvres ménages de paysans emmenaient sur leurs grandes voitures à échelles, au pas lent de leurs chevaux de labour, la maisonnée entière : les enfants, l’aïeule, le chat, l’oiselet dans sa cage, et tout ce qui pouvait se