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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

part des intermédiaires, était capable de tout gâter et de le faire jeter lui, Risler, en prison, ainsi que sa majestueuse épouse. Mais Cydalise devenue la femme de Jean, ses parents étaient tenus à des ménagements excessifs. Il leur fallait renoncer à leur enfant ou la prendre telle qu’ils la retrouvaient, avec une nouvelle famille par surcroît. Il y aurait pour Risler moins d’argent à gagner, tout d’abord, mais comme compensation, des égards, de la considération à recueillir : le rêve de Risler avait toujours été de finir dans les grandeurs ; et il s’accommoderait fort bien d’une existence qui s’écoulerait dans une belle ville de Normandie, auprès de sa « fille », et, sans doute, une partie de l’année dans les châteaux du voisinage : la vie de châtelain lui souriait assez…

Tout cela cependant ne devait être considéré par lui que comme pis aller, parce que Jean était bien jeune et bien jeune aussi la fillette. Il lui faudrait attendre trop d’années avant de pouvoir les marier ; et ces années il les passerait dans les transes, craignant toujours de voir lever le soleil du lendemain, — c’est une manière de parler — derrière les épais barreaux d’une fenêtre de prison ; ces années-là compteraient double pour lui, ses cheveux blanchiraient, sa santé et sa force, il les perdrait… Et si papa et maman mouraient. ne fut-ce que pour lui faire une niche ? déconcerter ses plans ? Ce ne sont pas les héritiers qui s’empresseraient de reconnaître la demoiselle ! Risler ignorait l’existence de Maurice ; du reste, la connaissant, il eut prêté au frère de la jeune fille des sentiments analogues à ses sentiments personnels, c’est-à-dire exempts de toute délicatesse.

Enfin, se disait-il, il fallait tout de même réserver Jean pour l’avenir, mais surtout se faire de lui un auxiliaire utile dans le présent. Jacob Risler pensant y réussir dans cette nouvelle rencontre avec son jeune parent, sauta par terre, donna une tape amicale sur l’épaule du gentil garçon, lui tira les oreilles en affirmant qu’il était un heureux garnement, et il l’entraîna vers l’entrée des artistes.

Jean se trouva tout d’un coup dans l’obscurité, au milieu de cet enchevêtrement de voitures peintes en jaune et en vert — maisonnettes roulantes — de fourgons et de chariots où il s’était aventuré déjà à Dunkerque, non sans quelque crainte, lorsqu’il offrait des canettes de bière au géant tyrolien…

Jacob ouvrit une petite porte et poussa Jean derrière les toiles de fond de la scène, dans un réduit à peine éclairé par une lampe suspendue, — foyer de comédiens nomades encombré de caisses, où, sur les bancs, sur de vieilles chaises boiteuses traînaient des vêtements de femme, des oripeaux de cou-