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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

qui lui avait permis d’étouffer tant de fois les reproches de sa conscience, il ne lui serait plus possible de l’invoquer désormais. Il savait aussi sûrement que Jacob Risler et sa digne femme que Cydalise avait été volée. Mais il savait aussi que s’il parlait, Cydalise était perdue pour lui. En se taisant, il se faisait le complice de gens abominables, il est vrai ; mais il s’imposait dans la nouvelle famille de la jeune baladine ; et déjà l’oncle Risler, par ses promesses engageait l’avenir. Jean se rendait bien compte que Cydalise n’avait pas de pire ennemi que lui, et il se sentait capable cependant de donner sa vie pour elle ! Quel sentiment paralysait donc sa volonté de bien faire ? Il l’ignorait. Comme il gardait un silence embarrassé, l’intéressante enfant lui dit d’une voix suppliante :

— Voyez bien Jean en quoi vous pourriez m’aider à découvrir ce qu’il m’importe tant de connaître.

Jean soupira pour se délivrer de son oppression.

— Je n’ai jamais cru, dit-il, que vous fussiez la fille de cette femme qui a fini par vous adopter. Mais quand je l’ai entretenue de vous, je ne lui ai rien dit qui dût lui faire supposer que je connaissais vos parents. Étant coupable, elle s’est effrayée, voilà les choses…

Ainsi Jean persistait dans son odieux système.

— J’attendais plus de vous, dit la jeune fille. Pourquoi ? je n’en sais rien ; c’est d’instinct. J’ai tant besoin d’une protection ! Et tantôt, en vous revoyant près de moi, en vous retrouvant tout à coup, je me suis sentie plus forte. Ne me dites pas que je me trompe ! ne m’abandonnez pas à mon sort !… Figurez-vous que depuis que je soupçonne ma mère adoptive de m’avoir enlevée à l’amour de ma véritable mère, je suis prise de folles envies d’aller tout dire à un magistrat, de réclamer l’appui de la justice ; mais je suis retenue toujours…

— Et par quoi ?

— Vous me le demandez ! Par la crainte de dénoncer une malheureuse, qui m’a élevée, soignée avec tendresse, une tendresse intéressée sans doute, mais enfin une femme à laquelle je me suis malgré moi attachée et dont je ne voudrais pas causer la perte.

— C’est généreux, observa Jean très touché de ce langage ; mais il ajouta aussitôt : Et peut-être est-ce, en effet, la seule manière raisonnable d’agir. Ce ne sont ni les juges de paix, ni la municipalité de Saint-Omer qui vous ramèneraient à vos parents, — s’ils sont encore de ce monde ! Vous vous trouveriez donc bien seule, bien isolée… Que deviendriez-vous ?