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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/556

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

par la beauté des sculptures et des ornements de sa façade. C’était la partie de l’hôtel réellement habitée.

Au rez-de-chaussée, élevé de quelques marches, se trouvaient le grand salon, la salle à manger, plus une salle haute de plafond, transformée par le baron en un hall, genre anglais, avec une serre dans un coin, difficilement contenue, et menaçant d’envahir par l’exubérance de ses plantes exotiques un plus grand espace ; au milieu, un billard ; un cheval de bois et un trapèze dans un autre coin, pour les éléments de la gymnastique ; un orgue à tuyaux faisant vis-à-vis à une très grande cheminée du seizième siècle, ornée d’une superbe glace de Venise ; aux murs, quelques vieilles toiles flamandes et hollandaises ; des tapisseries de Beauvais remplissant divers panneaux ; un panneau occupé par une bibliothèque de style Renaissance ; çà et là, sur des étagères, s’étalait tout le bibelot d’un archéologue, — moins certaines pièces encombrantes et lourdes alignées le long des soubassements : bustes sans nez, torses sans tête, bas-reliefs rabotés par les siècles ; quelques armes hors d’usage, telles que larges épées à deux mains, casques et boucliers du moyen âge, fusils aux massives crosses incrustées, pistolets et sabres orientaux, se groupaient en panoplies. Plusieurs tapis épais, des portières, et de lourds rideaux masquant les hautes fenêtres, — sauf celles où les palmiers, les magnolias, les suspensions de verdure tamisaient la lumière — achevaient de donner une apparence de confort à cette vaste salle, où tout décelait l’opulence et la vie faite de loisirs des maîtres de la demeure.

Cette pièce méritait la préférence que lui donnait toute la famille ; mais c’est là aussi, au coin de l’antique cheminée de marbre rouge, que la baronne avait vu s’écouler dans l’amertume de sa douleur tant d’années qui eussent dû être des années de félicité et de bonheur domestique ; c’était là, enfin, que Sylvia était venue prendre la place qui lui appartenait.

Pauvre et charmante enfant ! Timide, effarée presque, elle se tenait bien près de sa mère, serrée contre elle, comme si elle craignait de lui être enlevée encore une fois ; et sa mère la couvait du regard, avec de grosses larmes dans les yeux. La jeune fille voyait couler ces larmes, se troublait et murmurait :

— Pourquoi pleurez-vous, ô ma mère, puisque je suis là !

— Ah ! disait la baronne, ce sont des larmes de bonheur ; mon cœur déborde de plénitude ! Ma Sylvia ! Mon enfant ! Je rêvais parfois de toi ; je te pressais sur ma poitrine comme à présent, puis tout s’évanouissait, et ma joie d’un moment s’échappait dans un sanglot… Si j’étais encore le jouet