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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/573

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Solesmes » et les autres œuvres d’art de l’ancienne basilique présentent un ensemble rare, et méritent la célébrité dont ils jouissent : on les a attribués tantôt à Germain Pilon, tantôt à des artistes italiens ou allemands.

Quand ils furent en vue du Mans, annoncé de loin par la cathédrale de Saint-Julien, élevée sur un plateau qui domine toutes les constructions modernes de la ville, Méloir murmura à l’oreille de Jean :

— Serait-ce pas que vous voudriez vous payer une poularde du Mans et m’en faire manger une aile ou deux, avec quelques bolées de cidre, qui vous aurait décidé à prendre le chemin le plus long ? Un gentil gars de Paris qui a du quoi dans le gousset, c’est pas un gars comme moi qui l’empêcherai de faire à son idée.

Jean sourit.

— Est-ce que l’air du matin t’ouvre l’appétit, Méloir ? Au fait, j’ai si souvent entendu parler de ces belles bêtes ! Ce serait une occasion de faire connaissance…

Une voix grave s’éleva dans le compartiment — une voix presque solennelle. Elle partait d’un coin où s’était établi un personnage chauve, mais haut cravaté de soie noire, correctement rasé et de solide prestance : quelque chose comme un cousin germain de feu M. Prudhomme, d’hilarante mémoire.

— Qui parle de poulardes du Mans ? disait la voix. Apprenez, mes amis, que les poulardes du Mans sont engraissées à la Flèche, de même que les jambons de Bayonne viennent de Mont-de-Marsan, et de même que Cette voit fabriquer le vin exquis que nous dégustons sous le nom de vin de Madère. Les poulardes que nous honorons présentement de notre attention, sont élevées dans une quinzaine de communes de l’arrondissement de la Flèche. Et, sans être membre de la société protectrice des animaux, il est permis de faire remarquer que les dites poulardes, déclarées succulentes après leur mort, lorsqu’elles se présentent à nous sur un lit de cresson, sont soumises durant six semaines à un traitement, j’ose le dire, des plus cruels, dont la claustration absolue, s’il est permis de s’exprimer ainsi à l’égard d’humbles volatiles, n’est pas la moindre rigueur. On les engraisse avec une pâte formée de farines d’orge et de sarrasin délayées dans du lait. Procédé barbare et qui mérite d’être flétri ! Mais allez faire entendre cela à un disciple de Brillat-Savarin qui a payé trente francs la poularde dont il vous régale !

— Qué qui dit donc ce vieux-là ? c’est comme un loriot qui dégoise des psaumes, marmotta Méloir, et qué qu’ça nous fait à nous !

— Quoi qu’il en soit, mes jeunes amis, reprit le personnage grave, la