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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Flèche est frustrée par le Mans d’une gloire qui lui appartient et qui n’est pas peu de chose : poulardes, chapons et oies sont expédiés par centaines de mille sur les marchés de Paris. Vous me direz que la Flèche, dans son riant vallon qu’agrémente le Loir, peut revendiquer à bon titre son Prytanée, école militaire ouverte à un certain nombre de fils d’officiers morts sur le champ de bataille ou ayant bien mérité de la patrie par leurs services. Ils sont là cinq cents environ qui reçoivent une éducation soignée. Ah ! c’est un bel établissement et qui se compose de cinq corps de bâtiments entourés d’un parc magnifique. — Tout cela à propos de poulardes… mon discours s’est anobli…

Jean pour remercier l’obligeant voyageur mit la casquette à la main et salua. Méloir était en train de s’endormir lourdement ; Jean le secoua, et le Breton croyant se réveiller à la fin d’un sermon de son curé, fit avec vivacité le signe de la croix. Mais il reconnut aussitôt sa méprise :

— Je ne suis brin fautif. Mais c’est égal, dit-il pour ramener Jean à des idées gastronomiques, Flèche ou Mans nous sommes tout de même dans le pays des poulardes grasses : et je me suis laissé dire par un Dolois, né natif de Dol, qu’en avait goûté un petit, que c’était au Mans pour les poules et les coqs, comme pour les oies à Bécherel et les piquots à Dinan.

— Eh bien ! nous en mangerons une ! finit par dire Jean.

— Le cœur m’en cause, ma foi dame, oui ! conclut Méloir en manière d’acquiescement.

La ville moderne du Mans est descendue peu à peu de la crête d’un étroit monticule où les Gallo-Romains avaient établi leur cité, aux murs d’enceinte de briques rouges et de grès ; elle s’est éloignée du sommet de la colline pour se déverser sur ses pentes et s’étendre même dans la plaine. Une ville commerçante a remplacé le refuge fortifié. Le Mans a pris possession des rives au milieu desquelles serpentent les eaux fraîches et lentes de la Sarthe. Il a même bâti dans le lit de la rivière de nombreux moulins, dont quelques-uns disloqués par les années, rongés et moisis par l’eau, encadrés par une puissante verdure, ont un aspect fort pittoresque.

Suivant le cours de la Sarthe, le Mans s’est avancé au sud presque jusqu’au vieux pont de Pontlieu sur l’Huisne, qui vient se jeter dans la Sarthe, en amont de la ville. Quelques arches rompues de ce pont perpétuent le triste souvenir de nos guerres civiles. C’est à cette limite du Mans du côté du sud-ouest, que le 10 décembre 1793, se présenta l’armée vendéenne, conduite par la Rochejaquelein. L’artillerie républicaine défendit le passage du