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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/595

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Guingamp, au centre de la riche vallée qu’arrose le Trieux et que limitent et entourent des montagnes et des hauteurs. L’ensemble est très pittoresque. La rivière trace une courbe irrégulière au pied de la ville, entraînant aussi loin que possible sa bordure de peupliers. Le vieux château de Guingamp a été conservé, moins une des quatre grosses tours d’angle ; quant aux anciennes fortifications, il n’en reste que peu de vestiges. De la station du chemin de fer, établie au sud-est de la ville, entre les routes de Morlaix et de Pontivy, Jean regarda, de Guingamp et du village de Sainte-Croix, qui en dépend, tout ce qu’on en pouvait apercevoir.

Comme d’habitude, Méloir se chargea de lui décrire la ville bretonne, et surtout la fontaine du duc Pierre ou la Pompe, qui coule sur la place du Centre. De la longue explication du gars on pouvait induire que cette fontaine comprend trois vasques qui vont décroissant vers le sommet, surmonté d’une statue de la Vierge ; des chevaux « avec des queues de poisson », supportent le second « bassin, » et de belles dames, — des naïades sans doute, — soutiennent le troisième bassin.

Méloir s’étendit longuement aussi sur l’église Notre-Dame-de-Bon-Secours et le pèlerinage ou « pardon » qui y a lieu le samedi avant le premier dimanche de juillet. C’était sans mentir à l’en croire, — et il ne mentait pas, — l’un des plus célèbres et des plus fréquentés de toute la Bretagne. Il y a des boutiques en plein vent comme à une foire. Ceux des pèlerins qui sont dévôts se rafraîchissent à la fontaine consacrée ; mais il n’est pas défendu de vider un pot de cidre pour se préparer à danser au son du « biniou » avant la sortie de la procession.

À neuf heures du soir la madone se met en marche ; elle est portée sur la place, où sont allumés trois grands feux de joie. Après la procession, la fête recommence ; mais à minuit on dit une belle messe et tout est fini ; les pèlerins se séparent, non sans échanger quelques horions.

— J’y suis venu une fois qui fut avec des gars de Landerneau, dit Méloir ; y en avait aussi de Lesneven, un péchou, Ange Lorant ; et quelques-uns de Paimpol, et encore le vieux Joson, un homme d’âge mais qui avait honnête mine et buvait encore son écuellée de cidre d’une seule haleine ; il cousinait avec défunt mon père. Après la messe, on s’en est allé au cabaret manger des grousses et des noces[1], et le cidre chauffait, fallait voir ! Mais que

  1. Bouillies de sarrazin et d’avoine.