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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/603

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

non à Paris, où il n’avait pas assez de relations, mais à Caen — idée lumineuse ! — à Caen, où le baron et la baronne du Vergier daigneraient sans doute s’intéresser à son protégé (passablement encombrant) et le placeraient dans quelque bonne maison de la ville.

Il s’en ouvrit à Méloir. Le gars lui avoua ingénument qu’il ne serait pas fâché de faire connaissance sur place avec les tripes à la mode de Caen. Mais se rappelant soudain que quelque chose était dérangé dans le plan de sa vie, il eut une larme à l’œil, tandis que sa langue se promenait encore sur les lèvres à l’idée d’un régal nouveau.

— Failli gars ! s’écria-t-il avec une explosion telle qu’il se crut obligé d’ajouter : C’est pas de vous que je parle, au moins.

Donc, on irait dans le Calvados. Quant à essayer à la faveur de ce moyen de rentrer en grâce auprès de la baronne, Jean n’y pensait pas, oh ! non. C’était par pure bonté d’âme qu’il conduisait Méloir à Caen : du moins, c’est ce qu’il se disait en reprenant le chemin de la gare, située au nord de la jolie petite ville.

Il se retourna avec un regret et aperçut quantité de ruisseaux tombant de toutes ces charmantes hauteurs qui enserrent la vallée. Tant pis ! Il fallait s’éloigner ; et il aurait pourtant si volontiers poussé jusqu’à Brest, si tout avait bien marché. Tant pis, tant pis ! Trop de bruit dans Landerneau !… Il se le rappellerait ce festin de l’armoire. Ah ! on l’y prendrait encore aux noces bretonnes !

— Le failli merle ! Faut pas mentir, c’est un failli drôle !

Par ces apostrophes l’infortuné Méloir ramenait Jean à ces choses qu’il ne pouvait oublier et le fortifiait dans sa résolution de partir au plus tôt. Et c’est ainsi qu’on remonta en wagon.

Jean arriva fort tard ce jour-là à Laval, et d’assez mauvaise humeur. C’est en vain que Méloir avait essayé sur la route de l’intéresser de rechef à Vitré et de l’attendrir sur la rue Poterie, berceau de sa famille du côté de sa mère la Vitriasse ; c’est en vain que le gourmand Breton avait en sortant de la gare recommencé l’éloge des préparations culinaires dans lesquelles Laval excelle, notamment de cette fameuse poitrine de mouton grillée relevée à la sauce poivrade, à laquelle Méloir avait voué une sorte de culte ; Jean, fort sobre durant tout le trajet, ne voulut entendre parler que de dormir : on verrait demain.

— Vère ! je veux ben, finit par dire Méloir avec un gros soupir ; m’est avis qui si nous ne partons qu’à dix heures on aura le temps de bien déjeuner