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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/614

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

dame du Vergier le félicita sincèrement et fit l’éloge d’une opiniâtreté si méritoire de la part d’un fils. Elle ajouta :

— Voilà qui est très bien, mon petit Risler, — car on peut vous donner ce nom maintenant que vous l’avez relevé. Et avons-nous quelque projet pour l’avenir ?

— Hélas ! madame, cet avenir ne m’offre rien de bien brillant. Je fais un petit commerce de livres, et dans les moments de halte, aux heures de repos, je dévore le contenu de ma balle. Je m’y prends très proprement, et en coupant les feuillets d’un seul côté, je puis lire un livre sans lui ôter sa valeur marchande. J’ai beaucoup lu déjà, et cela me donne une envie irrésistible de m’instruire. Le hasard m’a amené à visiter une partie de la France ; je peux, grâce à ma balle, voir le reste. Je ne fais plus comme autrefois, lorsque je m’abandonnais au seul plaisir de la curiosité. Maintenant, j’observe, je compare, j’interroge et je classe dans ma mémoire les faits recueillis. Mon ambition…

Jean s’arrêta, craignant d’avoir parlé trop complaisamment de lui.

— Votre ambition ? fit la baronne.

— Elle est modeste, et pourtant trop hardie peut-être. Je voudrais pouvoir consacrer une partie de mes journées à l’étude. J’ai lu dans une biographie du célèbre explorateur de l’Afrique, David Livingstone, qu’à mon âge, étant comme moi d’humble extraction, fils d’ouvrier, il partageait en deux ses semaines. Une moitié de son temps était employée à gagner par le travail de ses mains sa subsistance et son entretien ; l’autre moitié, il la consacrait à l’étude, aux grandes et fortes études, si bien qu’il gagna ses grades et devint le docteur Livingstone.

— C’est bien pensé, Jean, fit Maurice.

— Sans doute, dit la baronne ; mais il faut un certain courage pour mener de tels projets à bonne fin.

— Ce courage, je le sens en moi, madame, répondit Jean d’un ton ferme, exempt de forfanterie.

Et il vit bien que la fille de la baronne et miss Kate approuvaient son plan de conduite.

— C’est la lutte pour la vie, observa Maurice ; je vous aiderai, Jean, de toutes mes forces.

— Et moi aussi, dit miss Kate.

Sylvia voulut faire entendre une parole d’encouragement, mais les mots expirèrent sur ses lèvres. Et néanmoins ce fut cette parole qui ne fut pas