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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/626

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

— Ah ! je n’en sais rien ! s’écria Maurice. Je crois que nous y serions encore tous deux, Méloir et moi, à nous regarder face à face. Il y a, paraît-il, des endroits plus dangereux encore. Ainsi il existe, au milieu des dunes, des flaques d’eau où les nénufars, les potamots et d’autres plantes aquatiques pressent leurs larges feuilles au-dessus du bassin. Le vent charrie le sable sur cette espèce de plancher mobile, et peu à peu les bords disparaissent et même la flaque d’eau tout entière. Malheur à celui qui entre dans ce bassin vaseux, trompé par l’apparence solide de la surface ; une mort horrible l’y attend.

» Pour éviter les dangers dont je parle, poursuivit le jeune du Vergier, les gens du pays marchent sur la crête des dunes ou se tiennent à mi-côte ; mais il ne faut pas être préoccupé par la recherche d’un baronnet anglais plus qu’excentrique.

— Je croyais, dit Jean, qu’il n’y avait de sables dangereux que dans les déserts de l’Afrique et de l’Asie.

— C’est une erreur… que je partageais. Ici le sable est véritablement un ennemi, bien autrement à redouter que les loups qui infestent le pays et forcent les paysans à porter partout avec eux un fusil en bandoulière. À Mimizan, qui a été jadis un port sur l’Océan, j’ai vu la dune qui menaçait d’engloutir la dernière église échappée au fléau, suspendue à deux mètres seulement de ses murs, arrêtée enfin dans sa marche par des semis de pins : l’enseignement a été profitable, et la dune de Mimizan a servi puissamment à propager le suprême préservatif popularisé par Brémontier.

» J’ai parlé des étangs, ajouta Maurice. Tout à coup, au delà d’un bouquet de pins, on découvre un de ces petits lacs, une de ces lagunes qui séparent la région des landes de celle des dunes. La vaste nappe d’eau est bordée de villages qui s’y mirent coquettement, et, dans de fraîches prairies, se pressent les troupeaux.

Maurice s’étendit ensuite longuement sur les habitants des Landes, population très sympathique qui se montre de loin en loin aux abords des villages. Ces nomades ne vivent pas seuls ; ils sont suivis de femme et enfants. Les Landais sont de petite taille, maigres, hâves, leur teint est décoloré ; ils portent les cheveux longs taillés sur le front suivant des modes vieilles de plusieurs siècles ; l’air de leur visage est triste, et la mobilité de leurs traits trahit chez eux une excessive irritabilité nerveuse. Quoique faibles et malingres d’apparence, ils avaient paru au jeune du Vergier sobres, rudes au travail, durs pour eux-mêmes. Il avait rencontré des bouviers se préparant