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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/655

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Mais Jean commençait à s’impatienter.

— Et mes études ? disait-il à tout propos à son ami. Et mes études ?

— Ingrat ! répliquait Maurice ; il me semble que vous avez depuis plusieurs jours quelques grandes pages d’un bien beau livre, ouvertes sous vos yeux.

— C’est vrai ! murmurait le Parisien ; mais j’ai une si grande envie de savoir !… de savoir ce qu’il est indispensable de connaître. C’est merveilleux les Pyrénées, mais c’est du luxe. Mon ignorance réclame le pain quotidien de l’instruction. Que vous êtes heureux d’avoir eu des maîtres de toute sorte !

— Hélas ! repartit Maurice d’un ton piteux, voyez si cela peut attendrir cet insulaire ! si ça l’empêche de me désavouer pour gendre ! Croyez bien que s’il changeait jamais de manière de voir, ma fortune y serait certainement pour beaucoup.

— C’est que je n’ai pas de fortune, moi ! Vous savez ce que je me suis proposé… C’est bien difficile, allez ! Le célèbre potier Bernard de Palissy se posait cette question : « Si pauvreté empêche les bons esprits de parvenir ? » Il finit par prouver à lui-même et aux autres que non. Mais cela est-il permis à qui voudrait l’imiter ?

— Par le travail, les hommes, ainsi que les sociétés, peuvent se transformer. Honneur aux plus courageux !

— Sans doute, répondit Jean. Mais la pauvreté, quel obstacle presque invincible ! Si jamais j’arrive à quelque chose, je fais vœu de m’attacher à combattre ce qu’on a appelé le paupérisme.

— Si jamais vous arrivez à quelque chose vous ferez comme les autres, mon cher ami : vous serez tellement fatigué par le chemin parcouru que…

— Que je ne songerai qu’à me reposer ? Je vous vois venir. Détrompez-vous. J’ai déjà mes idées sur tout cela, — mes idées et les idées des autres.

— Quelles idées ?

— Des réflexions, des axiomes, des maximes que je note au cours de mes lectures.

Et Jean exhiba à son ami Maurice un cahier qu’il portait sur lui. Il y avait écrit des pensées dans le genre des suivantes :

« Créez des institutions bienfaisantes qui préviennent le mal et l’étouffent dans son germe (Thomas Morus). »

« Un temps viendra où l’on ne concevra plus qu’il fut un ordre social dans lequel un homme comptait un million de revenu, tandis qu’un autre n’avait pas de quoi payer son dîner (Chateaubriand). »