Aller au contenu

Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/669

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
661
LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

L’Auscitain reprit sans se déconcerter :

— Quant à notre industrie et à notre commerce, il ne faut pas s’en moquer. On sait qu’après le « cognac », — moi je dis avant, — la meilleure eau-de-vie de France est « l’armagnac. » Avec cela, la minoterie, la tannerie, la préparation des conserves de volailles… Té ! Ce n’est pas peu de chose. Et puis donc nos scieries de planches, nos fabriques de toiles, nos cotonnades, nos rubans de fil, nos verreries, nos faïences, nos poteries ? Eaux-de-vie, laine, plumes, blé, bêtes à cornes, mulets, vins, voilà des articles de commerce de quoi enrichir dix départements et non pas un !

— Mais les villes ? demanda l’Anglais.

— Ne l’écoutez donc pas, milord ! s’écria le bourgeois de Montauban, ce qu’il vous dit c’est un tas de vantardises. C’est un « ostiné ». Il vous ferait voir le soleil dans « l’oscurité » ; il ne connaît pas « d’ostacle »

Le fabricant d’armagnac visiblement agacé eut une grimace de souverain mépris pour son voisin de Tarn-et-Garonne.

— Les villes ? fit-il. Ah ! il n’en manque pas, allez ; il y en a que ça fait trembler : Auch, d’abord.

— Oui, dit le bourgeois de Montauban, mais Auch, au témoignage de Georges Sand est une des plus laides villes de France.

— Oh ! si l’on peut dire ! La plus laide ? Mais sous le rapport du pittoresque Auch peut défier toute comparaison ! Monsieur… Milord, située sur le plateau et les versants d’un promontoire assez élevé, la ville vue de la route de Fleurance, de Mirande ou de Masseube, avec ses maisons grisâtres disposées en amphithéâtre, présente une masse fort imposante, je vous l’assure, grâce à son escalier monumental orné de fontaines qui gravit la pente rapide de la colline, grâce à sa tour de César — elle est du onzième siècle.

— Oui, oui, rendons à César ce qui ne lui appartient pas, grommela le bourgeois de Montauban.

— … le tout couronné sévèrement par les tours de sa belle cathédrale.

— Ah ! parlons-en de vos escaliers, s’écria le marchand de fruits secs d’Agen, très décidé à intervenir ; parlons-en des « pousterlos » comme on les nomme : la terreur des étrangers, monsieur, la bénédiction des « sirurgiens » pour les entorses que ça leur procure à soigner.

— Mais nous possédons aussi les quartiers de la ville basse, répondit victorieusement l’Auscitain ; et il ajouta, non sans orgueil : puisque nous avons été inondés en 1836.