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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/68

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

Jean put enfin écrire… et il eut de l’ancien soldat une réponse telle que le fils de Jacob Risler la pouvait souhaiter. Bordelais la Rose affirmait dans un style plein de franchise, assaisonné de jurons soldatesques, que le père de son petit ami n’avait pas été fusillé à Fontenoy. Il ne serait peut-être pas bien difficile, ajoutait-il, de mettre la main sur les papiers établissant l’identité du Lorrain de même nom surpris dans ce village en flagrant délit de trahison. Il entreprendrait cela un jour, lorsque ses rhumatismes lui laisseraient quelque répit, — des rhumatismes gagnés au siège de Sébastopol, sac et giberne ! où il fallait dormir dans la boue des tranchées…

Ce fut une grande joie pour Jean de recevoir de telles assurances. Il reprit courage tout à fait, et se montra moins impatient de grandir.

Le Niderhoff faisant partie des territoires perdus, c’est Paris qui devenait sa ville ; c’est dans la capitale qu’il devait songer à vivre et à s’établir. Un moment viendrait où il se trouverait en mesure, grâce à son travail, d’arracher sa sœur à ces vilains parents demeurés au village, — non pas Prussiens par force, ceux-là, mais Prussiens de la veille, — et il donnerait à tous une leçon sévère, obtenant pleine et entière réparation…

Voilà quels étaient les pensées, les sentiments et les aspirations du jeune garçon.

Pauline, aussi, avait grandi. Jean lui écrivait et recevait de bonnes réponses avec quelques mots dictés par la petite. C’étaient toujours des éloges pour la façon de se comporter envers elle de l’oncle Jacob et de la tante Grédel.

À chaque lettre du village, Antoine Blaisot disait invariablement : Tout va bien là-bas ; mais Jean, plus défiant à l’égard de ses parents d’Alsace-Lorraine, parvint à décider le brave Antoine à pousser une pointe jusqu’au Niderhoff pour voir et réconforter l’abandonnée Pauline.

Ce ne fut pas un long voyage ; mais Antoine rapporta de fâcheuses nouvelles : Sa nièce était souffrante, malgré les bonnes nouvelles contenues dans les lettres de la tante Grédel ; quant aux Risler, ils étaient toujours plus mal vus ; le père de Jean n’avait pas retrouvé l’estime de ses anciens amis. Le sabotier et sa femme, par leur opiniâtreté, avaient assuré le succès de leurs manœuvres.

Jean ne put entendre ces choses sans verser des larmes amères. Quant au ménage « allemand », au dire d’Antoine, « le torchon brûlait » : Jacob était parti pour le Cantal, entraîné par un courtier allemand qui faisait des achats pour une grande maison de Strasbourg. Il ne comptait pas revenir de sitôt.