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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/691

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

pattes qui s’essaye à marcher ? Elle venait d’avaler sur l’air du Miserere du « Trovatore », un sabre de cavalerie, moins la poignée de cuivre.

L’orgue déroulait ses notes, et le supplice de la dame se continuait malgré les cris répétés de : Assez ! assez !

Jean, désireux comme la plupart des assistants, de faire cesser ce douloureux spectacle, — cette torture peut-être, — mit la main à la poche ; Maurice en fit autant, et sir William ne voulut pas demeurer en reste. Le gros sou de Jean tomba le premier.

— Plus que treize ! cria l’hercule.

Au même moment, deux pièces blanches tombèrent à ses pieds. Celle du baronnet, — une roue de derrière, observa un charretier, — produisit une réelle sensation ; tout le monde se tourna du côté d’où elle arrivait. Le baronnet souriait et murmura :

— Yes ! Bôcoup d’argent !

Mais Jean venait de reconnaître dans l’hercule son oncle Jacob, dans la femme à moustaches madame Risler, et c’était Hans Meister qui tournait la manivelle de l’orgue, — Hans Meister !

En cherchant des yeux le généreux spectateur, Jacob Risler aperçut Jean, et il fit part de sa découverte à sa femme. Celle-ci prit peur : troublée déjà par le brouhaha d’admiration causé par la pièce de cinq francs et dont la cause lui échappait, croyant voir apparaître le képi de la police tant redouté depuis Saintes, elle fit un faux mouvement, poussa un cri, blessée intérieurement par la lame d’acier, et s’affaissa sur le carré de moquette, tandis que l’Allemand, dont les yeux avaient souffert de l’explosion de grisou de Lourches, continuait de moudre le Miserere, sans trop rien voir qu’un peu de désordre dans les rangs.

Le cercle était brisé, en effet ; chacun s’empressait vers la malheureuse gisant dans une si atroce position, et qui hurlait maintenant. Un vieux homme bredouillait en son patois : — San Marceou, prégat per ello ! (Saint-Martial, priez pour elle !)

Jean s’arracha à ce spectacle lamentable et entraîna le baronnet et Maurice ; Méloir des premiers s’était précipité vers l’acrobate, et Jean le vit de loin parmi ceux qui transportaient à l’hôpital la femme à moustaches.

Ceci se passait à Limoges, le second jour de l’arrivée du baronnet et de sa suite dans le chef-lieu de la Haute-Vienne.

— Vous avez vu cette femme ? dit Jean à Maurice, vous avez vu son mari ? c’est à eux qu’il a fallu arracher votre chère Sylvia. Le baron voulait sévir