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Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/717

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LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

sorbier des oiseleurs étalait déjà ses grappes de corail, lourdes à faire fléchir la branche. Une lumière ambrée colorait en dessus la ramée des sapins ; la feuillée des hêtres commençait à rougir. Parfois ces sapins — comme au mont Tendre — sortaient deux ou trois à la fois d’une même souche, leur double ou triple tronc soutenant un dôme verdoyant qui chantait au vent avec des murmures de harpe éolienne. Sur un plan vertical, se piquaient hardiment quelques pins penchés au-dessus de l’abîme.

Dans les clairières, s’épanouissait la dentaire, qui donne en sa saison des fleurons d’un bleu indécis, et fleurissaient tardivement de rares scabieuses et des campanules ; des plantes charnues étalaient leurs larges feuilles, le lys martagon balançait son paquet de fleurs rouges, la pimprenelle déployait son parasol étoilé, la digitale lançait ses jets où se balancent des casques nacrés.

Au milieu de ces ascensions, tandis que derrière un repli de terrain s’effaçait une petite ville ou une forêt, un semis de maisonnettes blanches apparaissaient jetées à tous les versants ; les villages avec les clochers des églises se groupaient dans une tache de lumière tombée de quelque gorge par où regarde le soleil.

Sans relâche, on escaladait les crêtes chenues, bien haut — dans le bleu…

Mais la grande ombre de la montagne s’imposait ; un mur prodigieux d’élévation dessinait son arête sur le ciel ; seuls, les cônes les plus élevés demeuraient lumineux, le reste ne s’éclairant plus que de reflets : il fallait songer au retour. Les pentes se faisaient glissantes — la fatigue aidant, — et l’on s’estimait heureux si l’on pouvait moyennant finance trouver le vivre et le couvert dans quelque hôtellerie villageoise ou chez un habitant de bonne volonté.

La plupart de ces excursions du baronnet, de Maurice et de Jean, avec l’amusant Méloir pour porter les cache-nez et le goûter, faire sauter les bouchons et allumer les feux de bivouac, rappelaient ces désopilantes scènes d’Anglais en voyage que nous a décrites Töpffer.

Maintes fois, sir William, malgré sa bonne mine et tout en déclarant qu’il voulait dépenser « bôcoup d’argent », eut toutes les peines du monde à se procurer un gîte pour la nuit. Après toutes sortes d’explications, plusieurs commères l’envoyaient dans quelque maisonnette isolée.

— Allais, allais, la cousin’ Mélanie a des chambres, et des lits, et de tout, assurait une commère.

— Oh là ! Je crais bien, je crais bien, ajoutait une autre bonne femme.